Israël-Maroc : une alliance militaire est née – Le Point

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Un an après la normalisation de leurs liens, les deux pays entament une coopération sécuritaire sans précédent, face aux « défis » posés par l’Algérie.

Le ministre israelien de la Defense, Benny Gantz, recu a Rabat par le ministre marocain des Affaires etrangeres, Nasser Bourita, le 24 novembre 2021.
Le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, reçu à Rabat par le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, le 24 novembre 2021.© FADEL SENNA / AFP

Par Armin ArefiPublié le 16/12/2021 à 17h19 – Modifié le 16/12/2021 à 20h27

Source : https://www.lepoint.fr/monde/israel-maroc-une-alliance-militaire-est-nee-16-12-2021-2457215_24.php?M_BT=1811027073127#xtor=EPR-6-[Newsletter-du-soir]-20211216-[Article_5]

Onze mois. C’est le temps qu’il aura fallu à Israël pour établir avec le Maroc une relation plus poussée qu’avec tout autre pays arabe. Moins d’un an après la signature des accords de normalisation entre l’État hébreu et le royaume chérifienBenny Gantz a réalisé le 24 novembre dernier à Rabat la première visite officielle d’un ministre israélien de la Défense dans un État arabe. « Nous avons vraiment établi une relation chaleureuse avec le Maroc, pays avec lequel nous entretenons une connexion culturelle et émotionnelle très forte », explique au Point un responsable israélien sous le couvert de l’anonymat.

À LIRE AUSSIIsraël-Maroc : la paix marchandéePrésente depuis l’Antiquité, la communauté juive du Maroc, qui compte environ 3 000 personnes, est la plus importante d’Afrique du Nord et cultive des liens étroits et naturels avec l’État hébreu. « En réalité, nos pays n’ont pas normalisé leurs relations, ils ont rétabli des liens historiques très forts basés sur le fait que la communauté juive du Maroc a toujours été protégée par l’ancien roi Hassan II et l’actuel souverain Mohammed VI », ajoute le responsable israélien. Plus de 500 000 Israéliens sont d’origine marocaine, et il était normal qu’après le rétablissement des liens civils – touristiques, culturels et économiques – nous passions au secteur de la défense. »

Tous les domaines

Si elles s’affichent aujourd’hui au grand jour, les relations entre le Maroc et Israël sont longtemps restées secrètes. « Depuis la création d’Israël en 1948 et l’indépendance du Maroc en 1956, ces deux pays se sont alignés sur de nombreuses questions géopolitiques et idéologiques, notamment leur opposition commune au panarabisme considéré comme une menace et incarné par Gamal Abdel Nasser », explique au Point Bruce Maddy-Weitzman, spécialiste des relations israélo-marocaines à l’université de Tel-Aviv. « Ils se sont ensuite retrouvés dans leur lutte contre l’islam radical et l’Iran. Israël a toujours considéré le royaume comme un régime pro-occidental dont il fallait assurer la survie, et l’a soutenu au niveau stratégique. »

À LIRE AUSSIPegasus : Abdellatif Hammouchi, l’espion marocain qui embarrasse la FranceLes deux pays ont même entretenu un temps des relations officielles, avec l’ouverture en 1994 de bureaux de liaisons à Rabat et Tel-Aviv, avant que l’éclatement de la seconde intifada dans les territoires palestiniens en 2000 ne provoque une rupture. « Même après cette date, les relations se sont poursuivies », précise néanmoins Bruce Maddy-Weitzman. « Les touristes israéliens se rendaient toujours au Maroc, tandis que les deux pays faisaient du commerce, notamment en matière de technologie et de sécurité. » Les services de renseignement marocains ont, par exemple, été accusés cet été d’avoir utilisé le logiciel de sécurité Pegasus, de la société israélienne NSO, pour espionner les téléphones portables de journalistes et de militants marocains, mais aussi français, ce que nie catégoriquement Rabat, qui dément avoir acheté le programme.

Nouvelle configuration régionale

Qualifiée d’« historique » par Israël, la visite de Benny Gantz à Rabat a en tout cas permis de formaliser la coopération sécuritaire entre les deux pays. Elle a été scellée par un protocole d’accord, signé entre le ministre israélien de la Défense et son homologue marocain Abdellatif Loudiyi. Le document prévoit la mise en place d’une commission mixte visant à accroître les échanges dans tous les domaines relatifs à la défense : renseignement, industrie, cybersécurité, formation militaire, exercices conjoints, échanges d’expériences et d’expertises, transfert de technologie. « Il s’agit d’un cadre pour toutes nos futures coopérations », explique le responsable israélien. « À partir de là, nos professionnels peuvent commencer à se réunir en groupes de travail pour développer nos liens dans tous les domaines, que ce soit le militaire, l’industrie ou le renseignement. »

À LIRE AUSSIAux Émirats, le fructueux pacte israélo-arabeS’il ne mentionne aucun contrat spécifique, le document ouvre la voie à l’acquisition officielle par le Maroc de technologies israéliennes de pointe, dont certaines ont déjà été discutées en amont. Selon le Forum Far-Maroc, proche des forces armées marocaines, le royaume aurait jeté son dévolu sur le dispositif de défense antidrone Skylock Dome, conçu par l’entreprise israélienne Skylock Systems. L’hebdomadaire marocain Tel quel évoque de son côté l’achat par Rabat de quatre drones tactiques Hermes 900 développés par le groupe Elbit Systems. Côté israélien, le quotidien Israel Hayom indique que le royaume a fait l’acquisition de systèmes de défense antiaériens Barak 8, codéveloppé par Israel Aerospace Industries et l’Indien Defence Research & Development Organisation.

L’Algérie visée

« Il s’agit d’un processus inédit de normalisation des relations, dont la teneur dépasse les accords noués précédemment par Israël avec d’autres pays arabes de la région », analyse Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève, en référence aux traités signés avec l’Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994, qui n’ont jamais dépassé le stade de « paix froide ». « La nature de la coopération militaire entre Israël et le Maroc, qui tend vers un accord de défense, ainsi que le transfert de technologies évoqué, laisse à penser qu’il s’agit désormais d’une alliance militaire établissant une nouvelle configuration régionale. Celle-ci implique également les Émirats arabes unis et Bahreïn, qui ont normalisé leurs liens avec Israël un an plus tôt. »

À LIRE AUSSIMaroc : comment Mohammed VI a piégé les islamistesDurant sa visite de 48 heures à Rabat, le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, n’a eu de cesse de mentionner les « menaces et défis grandissants dans la région », alors que le royaume chérifien est en crise ouverte avec son voisin algérien. Accusant le Maroc d’« actions hostiles », Alger a brusquement rompu ses relations diplomatiques le 26 août dernier, et rejeté depuis toutes les tentatives de conciliation de Rabat. « Cela permet à l’Algérie de marquer son retour sur la scène régionale et de faire diversion par rapport à la crise politique intérieurequ’elle connaît depuis le hirak », estime Hasni Abidi, au sujet du mouvement de contestation populaire, entamé en 2019, qui a abouti à la mise à l’écart de l’ancien président algérien Abdelaziz Bouteflika et qui couve toujours malgré la fin des manifestations.

« Marocanité » du Sahara occidental

La brouille algéro-marocaine a pour origine la rupture en novembre 2020 du cessez-le-feu qui courait depuis dix-neuf ans au Sahara occidental, territoire désertique de la taille de la moitié de la France, situé au sud du Maroc et de l’Algérie. Colonie espagnole jusqu’en 1976, cette bande de terre, riche en gisements de phosphate et bordée d’eaux poissonneuses, est contrôlée à 80 % par le Maroc et à 20 % par le Front Polisario, groupe armé issu de la population nomade sahraouie d’un demi-million d’habitants qui peuple la zone.

À LIRE AUSSIAlgérie-Maroc : jusqu’où ira le conflit ?Soutenu militairement par l’Algérie, le mouvement de guérilla a proclamé en 1976 la « République arabe sahraouie démocratique » et souhaite l’organisation d’un référendum d’autodétermination, qu’appelle l’ONU de ses vœux, dans le but d’établir l’indépendance du territoire. Au contraire, Rabat considère la région comme faisant partie de ses frontières « historiques » et réclame un statut d’« autonomie sous contrôle ». Disposant de la suprématie militaire, le Maroc a construit en 1980 – déjà avec l’aide d’ingénieurs israéliens – un « mur de défense » contre les incursions du Polisario, coupant le Sahara occidental en deux, du nord au sud, sur 2 700 kilomètres. Il a signé le 29 septembre dernier un partenariat avec la société israélienne Ratio Petroleum pour l’exploration d’hydrocarbures au large de la ville de Dakhla qu’il contrôle.

« Marocanité » du Sahara occidental

Le royaume chérifien est engagé en parallèle dans une vaste offensive diplomatique visant à asseoir sa mainmise sur le territoire contesté. Celle-ci a culminé avec la reconnaissance en décembre 2020 par l’ancien président Donald Trump de la « marocanité » du Sahara occidental, en échange du rétablissement des relations diplomatiques avec Israël. « Le Maroc s’est servi des intentions du Polisario et des tensions avec Alger pour justifier la normalisation de ses relations avec Israël », estime le chercheur Hasni Abidi. « Son besoin de sécurité et de stabilité a été mis en avant pour permettre la conclusion de l’accord militaire avec l’État hébreu, mais ni Rabat ni Alger n’ont intérêt à jouer l’escalade. Ils vont davantage se lancer dans une course régionale à l’armement. »

À LIRE AUSSIAlger acte la désescalade après le « premier pas » de ParisÀ Alger, le séjour marocain de Benny Gantz a en tout cas été perçu comme une menace directe aux intérêts du pays. « Les ennemis se mobilisent de plus en plus pour porter atteinte à l’Algérie », a dénoncé Salah Goudjil, président du Conseil de la nation et deuxième personnage de l’État algérien, selon l’agence de presse officielle APS. « Aujourd’hui, les choses sont claires avec la visite du ministre de la Défense de l’entité sioniste [manière dont l’Algérie appelle Israël] au Maroc, après celle effectuée [en août] par le ministre des Affaires étrangères de cette entité dans ce pays voisin. » Le 11 août dernier, Yaïr Lapid avait été plus loin que son collègue à la Défense en faisant part depuis Rabat de son « inquiétude quant au rôle de l’État algérien dans la région, qui s’est rapproché de l’Iran ».

L’Iran pointé du doigt

Historiquement favorable à la cause palestinienne au nom de la lutte anticoloniale, l’Algérie a toujours été opposée à une reconnaissance de l’État d’Israël qu’elle considère comme une puissance « déstabilisatrice » au sein du monde arabe. Son discours anti-impérialiste la rapproche de la République islamique d’Iran, avec lequel elle entretient des liens de proximité depuis la guerre Iran-Irak, où Alger a joué le rôle de médiateur. Toutefois, les accusations marocaines de présence militaire iranienne au Sahara occidental aux côtés du Front Polisario par l’entremise du Hezbollah, qui ont justifié la rupture des relations entre le Maroc et l’Iran en mai 2018, ne sont pour l’heure pas étayées sur le terrain.

À LIRE AUSSIFrance-Algérie : guerres secrètes« Israël a tout intérêt à pointer le rôle déstabilisateur de l’Iran dans la région dans le cadre de la coopération militaire avec le Maroc », estime le chercheur israélien Bruce Maddy-Weitzman. « C’est également le cas du Maroc, qui s’inquiète toujours d’une volte-face américaine sur le Sahara occidental. » L’étendue de l’alliance naissante entre Ie royaume chérifien et Israël pourrait s’avérer capitale pour convaincre les plus réfractaires à Washington. Car s’il n’est pas revenu sur la décision américaine de reconnaître la « marocanité » du Sahara, le président Joe Biden n’a toujours pas annoncé l’ouverture sur place d’un consulat des États-Unis, comme s’y était engagé son prédécesseur Donald Trump. Tout juste le secrétaire d’État Antony Blinken a-t-il qualifié le plan d’autonomie marocain de « sérieux et réaliste ».

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