PROCÈS DU 13 NOVEMBRE 2015 : jour 118 : « Nos services étaient faits pour gérer une vie judiciaire sans attentat »

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PROCÈS DU 13 NOVEMBRE 2015

Procès des attentats du 13 novembre 2015, jour 118 : « Nos services étaient faits pour gérer une vie judiciaire sans attentat »

BENOÎT SPRINGER · XAVIER THOMANN  · MIS EN LIGNE LE 4 MAI 2022

Initialement prévu lundi, l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic a déposé en début d’audience. Un témoignage d’expert qui, une fois n’est pas coutume, n’a pas déplu aux avocats de la défense et qui a permis de mieux comprendre certains dysfonctionnements passés de la lutte antiterroriste.

EXCLU WEB

Marc Trévidic est sans conteste un témoin de tout premier plan pour qui veut mieux appréhender le fonctionnement de la lutte antiterroriste en France sur le plan judiciaire. Dans sa déposition spontanée, celui qui est désormais en poste à Versailles est revenu sur les grandes étapes de sa carrière dans l’antiterrorisme, entre 2000 et 2015, et les principales évolutions du système antiterroriste pendant cette période. En effet, la situation à la veille des attentats du World Trade Center en 2001 n’a plus grand-chose à voir avec celle au début de l’année 2015. « J’ai vu le système antiterroriste évoluer et parfois s’adapter. »

Après les attentats commis en France en 1995 et 1996, et alors que le terrorisme s’internationalise, la lutte antiterroriste française change de paradigme, dès 1996 avec la création par la DST (Direction de la Surveillance du territoire) d’une unité judiciaire « avec l’idée de passer facilement du renseignement au judiciaire ». Dans un premier temps, cette unité d’une dizaine de personnes a travaillé sur les filières afghanes et bosniaques. « À l’époque, la fluidité est totale, la DST donne toutes les informations qu’il faut, judiciarise le renseignement au maximum. » Un système assez homogène qui continue de se développer après les attentats du 11 septembre et ceux de Madrid (2004) et de Londres (2005).

C’est à cette époque-là qu’apparaît un nouveau profil, celui des jeunes radicalisés par Internet et le travail de propagande qui y est réalisé par Al-Qaïda. En réponse à ce phénomène, la lutte antiterroriste évolue une nouvelle fois et cherche à empêcher le départ de ces aspirants djihadistes. « L’idée était d’empêcher qu’ils ne deviennent terroristes », par le biais de condamnations pour association de malfaiteurs terroriste. « Ce n’était pas du tout naturel à l’époque, c’est une évolution très importante. »

De fait, entre 1996 et 2012, la France est épargnée par les attentats islamistes. Ce sentiment d’invulnérabilité prend fin en 2012, avec les assassinats de Mohamed Merah. « L’affaire Merah arrive à noyer la machine », estime Marc Trévidic. Car, entre-temps, les moyens alloués à la lutte antiterroriste sur le plan judiciaire ont diminué et l’accent a été mis sur le renseignement, à travers la création de la DCRI, née de la fusion de la DST et des Renseignements généraux. « Sauf qu’on n’arrête pas les gens avec des renseignements », il faut que la justice ait les moyens de donner des suites aux renseignements en question.

Le contexte géopolitique, la guerre qui fait rage en zone irako-syrienne, ne va rien arranger. Bien au contraire. Ceux qui veulent devenir djihadistes ont désormais un endroit où ils peuvent se rendre assez facilement, ce qui n’était pas le cas auparavant. « Puis il y a eu l’appel de la Syrie entre 2013 et 2015. En fait, tout le monde est parti, je n’ai jamais vu ça. Des anciens comme des petits jeunes ou encore des familles entières. Un exode total. Ça vient à une époque où, dès 2013, le système ne fonctionne plus. Le nombre de policiers ne permettait plus de traiter les dossiers dans les temps. D’autant qu’en 2013, on est en plein Mali, et il y avait donc beaucoup de dossiers maliens. »

À la question d’une avocate de partie civile lui demandant d’identifier le moment où tout a basculé, Marc Trévidic n’a pas tourné autour du pot – du reste, l’ensemble de son témoignage était empreint d’une franchise assez rare pour quelqu’un ayant exercé à un tel niveau de responsabilité. « Avec Merah, on s’est rendu compte que nos services étaient faits pour gérer une vie judiciaire sans attentat. Dès Merah, on a vu les limites de nos capacités, ça s’est accentué en 2013 et dès 2014, le système ne fonctionnait plus. On n’a pas pu se mettre au niveau, on n’a pas a fait usage de toutes les capacités de la France, par exemple, les gendarmes, il y a les prés carrés, les habitudes, la bureaucratie. Normalement en France, le renseignement ne peut avoir qu’un objectif judiciaire. Si ça ne marche pas, on se retrouve avec des gens qui font du renseignement pour du renseignement. Les capacités qu’on avait étaient très limitées et on n’a pas pu se mettre au niveau. »

Par conséquent, en 2015, les autorités ont connaissance de la menace qui pèse désormais sur la France, sans pour autant être en mesure d’y faire face. « On a eu un système très performant pour contrôler 250 personnes pas 2000. » En clair, un nombre croissant de gens partent en Syrie et reviennent en France sans être inquiétés. « Toute une génération d’apprentis djihadistes sont partis avec une haine et une volonté de revanche, tous les signaux sont au rouge. En 2015, il faut être honnête les rares réussites sont dues à la chance. Ce n’est pas un système préventif qui fonctionne. » Qu’en sera-t-il après 2015 ? Marc Trévidic ayant quitté son poste à l’antiterrorisme en août 2015, son témoignage n’ira pas au-delà de cette date. On ne peut donc que se reporter aux témoignages de Bernard Cazeneuve ou François Molins, qui avaient expliqué devant la cour les nouveaux moyens mis en œuvre à partir de mi-2015 et suite aux attentats.

Hier, la cour aurait également dû entendre les témoignages de personnes à l’autre bout du spectre, en l’occurrence Bilal Chatra, Ayoub El Khazzani (l’auteur de l’attentat raté du Thalys) et Reda Hame. Mais aucun des trois n’a souhaité répondre aux questions de la cour et des avocats. La journée d’audience s’est terminée avec le témoignage poignant de l’ancien otage de l’EI, Nicolas Hénin. Ce journaliste français a été retenu prisonnier par un groupe dans lequel figurait Oussama Atar et Najim Laachraoui pendant dix mois, entre juin 2013 et avril 2014. ●

Newsletter spéciale procès du 13 novembre 2015

Trois nouveaux dessinateurs, venus de la BD et de l’illustration, Benoît Springer, Corentin Rouge et Emmanuel Prost, suivent le procès historique des attentats de novembre 2015.

Tous les jours, vous retrouverez sur le site de Charlie leurs dessins et leurs croquis de l’audience du jour et chaque fin de semaine sur charliehebdo.fr, vous pourrez lire le texte de la journaliste Sylvie Caster.

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