Auteur/autrice : Levy

#MeToo sauf si vous êtes juive

Crimes sexuels du Hamas en Israël : l’inquiétant silence des organisations internationales

Les preuves s’accumulent sur les viols commis lors de l’attaque du Hamas le 7 octobre. Organisations internationales et féministes du monde entier restent pourtant mutiques.

De notre envoyée spéciale en Israël,

 

 

Une semaine. C’est le temps qu’il aura fallu à ONU Femmes pour communiquer après les attaques terroristes du Hamas en Israël. « Et c’est peu de dire que la réaction fut décevante », commence Sarah Weiss, une ancienne diplomate qui a longtemps travaillé au ministère des Affaires étrangères israélien et qui est chargée depuis le 7 octobre de rédiger les documents officiels sur ces crimes pour le compte de Gilad Erdan, l’ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies.

Le message a été publié sur Twitter le 14 octobre : « L’ONU Femmes condamne les attaques contre les civils en Israël et dans les territoires palestiniens occupés et est profondément alarmée par l’impact dévastateur sur les civils, notamment les femmes et les filles. » Pas un mot sur les viols et sévices sexuels commis le 7 octobre, alors même que les images de propagande des terroristes montrant des corps de femmes suppliciés circulaient déjà partout sur les réseaux sociaux. Pas un mot, non plus, sur les otages emmenées dans la bande de Gaza.

Assise sur un banc de Tel-Aviv, à la nuit tombée, Sarah Weiss, regrette cette position ambiguë, d’autant plus qu’elle explique avoir envoyé dès le 7 octobre plusieurs courriers au Conseil de sécurité de l’ONU pour alerter sur les crimes commis à l’encontre des femmes. « Sima Bahous, la directrice d’ONU Femmes, a reçu ces lettres, et n’a pas jugé bon d’y répondre. Qu’il s’agisse des publications officielles, ou des siennes, ça ne raconte l’histoire que sous un certain angle. »

Le 8 octobre, au lendemain du « shabbat noir », Sima Bahous publiait en effet ce tweet, qui reprend la même terminologie que celle mise en avant par les Nations unies : « L’escalade des hostilités en Israël et dans les territoires palestiniens occupés est extrêmement préoccupante. Il est impératif que tous les civils, y compris les femmes et les filles, soient protégés. » Depuis, Sima Bahous n’a de cesse de publier des messages concernant les civils palestiniens. Rien sur les femmes victimes de crimes sexuels en Israël, alors que les preuves sont désormais plus que nombreuses. « Ce silence la déshonore », tranche Sarah Weiss.

« Leur silence est la plus grande des trahisons »

Le 25 octobre, c’est Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, qui déclarait : « J’ai condamné sans équivoque les actes de terreur horribles et sans précédent perpétrés par le Hamas en Israël le 7 octobre. » Et d’ajouter : « Il est aussi important de reconnaître que les attaques du Hamas ne se sont pas produites hors de tout contexte. » « Mais comment peut-on contextualiser des viols et des bébés brûlés ? » interroge la diplomate.

Côté Unicef ou Cedaw (le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes), même silence assourdissant. Dans un communiqué, Cedaw déclare condamner « l’escalade de la violence au Moyen-Orient qui a tué des milliers de civils, dont des femmes et des enfants », sans plus de précisions sur les violences spécifiques commises sur les femmes le 7 octobre. « Ils ont publié des déclarations sur les violences sexuelles dans plusieurs contextes, quand Daech contrôlait une partie de la Syrie, au sujet de la guerre en Ukraine. Mais tout ce qu’ils font ici, c’est appeler très faiblement toutes les parties “à aborder systématiquement la dimension du genre dans le conflit” », dit encore Sarah Weiss. Dans une tribune publiée le 22 novembre par le magazine américain Newsweek, Michal Herzog, première dame d’Israël, a elle-même pris la parole sur la question, écrivant que le « silence des instances internationales face aux viols massifs perpétrés par le Hamas est une trahison envers toutes les femmes ».

Cochav Elkayam Levy, une professeure de droit international qui a créé une commission civile « sur les crimes du Hamas commis le 7 octobre contre les femmes et les enfants » une semaine après les attaques, explique se sentir abandonnée par ces organisations internationales. « Elles sont censées assurer les droits des femmes, mais sont restées silencieuses, n’ont rendu publique aucune information alors même que c’est le crime le plus documenté de l’Histoire. Leur silence est la plus grande des trahisons », dit-elle, dans un sanglot. C’était quelques jours avant le 18 novembre. Ce jour-là, un centre d’aide aux victimes d’agressions sexuelles d’une université canadienne signait une lettre ouverte niant que les femmes aient été violées le 7 octobre. La colère a alors supplanté les larmes.

« Je suis à court de mots. Nous avons vécu un enfer et nous luttons toujours. Des femmes et des filles ont été assassinées, torturées, terrorisées et violées de la manière la plus inhumaine qui soit. Les preuves sont accablantes et indéniables. Et encore une fois, le même mécanisme de déni infligé aux victimes individuelles de viol est désormais infligé à nous toutes – femmes, filles, mères, sœurs et filles en Israël. Par qui ? interroge Cochav sur son compte Twitter, Par ceux qui sont censés savoir. Comprendre. Croire. »

 

#MeToo sauf si vous êtes juive

En Israël, un collectif de femmes a créé un hashtag #MeTooUnlessYouAreAJew (#MeToo sauf si vous êtes juive), et lancé une campagne avec des photos de femmes israéliennes accompagnées de ces mots : « UN Women, UNacceptable, UNforgivable, UNjustified » (« ONU Femmes, inacceptable, impardonnable, injustifé »). Dans une vidéo tournée en noir et blanc et publiée sur leur compte Instagram, une jeune femme en pleurs témoigne : « Quand vous êtes victime de viol et que le reste du monde demande des preuves, nie, minimise ou justifie votre viol, c’est comme si vous deviez le revivre encore et encore. »

« Normalement, les féministes du monde entier se rejoignent sur cette expérience très universelle de souffrance qu’est le viol. Mais d’un coup, les femmes juives ne méritent pas les “je vous crois” du reste du monde », témoigne aussi Ayelet Razin Bet Or, ancienne directrice de l’Autorité pour la promotion de la condition féminine en Israël. Où sont, il est vrai, toutes les célébrités du monde entier qui tenaient dans leurs mains des panneaux #BringBackOurGirls, quand, en 2014, 276 lycéennes de Chibok ont été enlevées par Boko Haram au Nigeria ? « On a bien compris qu’on était seules dans notre combat », souffle Ayelet.

Le 21 novembre, l’ambassadeur Gilad Erdan, a décidé de renvoyer un courrier à Sima Bahous, que Le Point a pu consulter. « Malheureusement, malgré la réception de descriptions très crues réalisée par notre mission – ainsi que des informations supplémentaires devenues depuis publiques et les innombrables lettres et pétitions qui vous ont été envoyées par la société civile israélienne –, l’organisation que vous dirigez et vous-même êtes restées complètement et totalement silencieuses face à ces crimes, sans aucune condamnation des actes de viols et violences sexuelles commis par le Hamas, ni aucune expression d’une quelconque solidarité pour les femmes et filles d’Israël. » Début novembre, l’association Paroles de femmes lançait quant à elle une pétition pour la reconnaissance d’un féminicide de masse commis en Israël le 7 octobre. Mais encore une fois, et comme depuis le jour des massacres, les féministes du monde entier sont restées silencieuses.

Reportage sur l’un des 1.700 actes antisémites recensés.

“Ce n’est pas aux victimes de changer de lieu d’habitation”, estime une victime d’acte antisémite

Dans le Val-d’Oise, la maison de Norbert a été caillassée une dizaine de fois depuis le début de la guerre en Israël et le Hamas. Ses attaques font partie des 1 700 actes antisémites comptés depuis le 7 octobre en France.
Article rédigé par Boris Loumagne
Radio France
 
Des impacts sur la porte caillassée de Norbert, dans le Val-d'Oise. (BORIS LOUMAGNE / RADIOFRANCE)

Plus de 1 700 actes et propos antisémites ont été recensés en France depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas. Il s’agit essentiellement de tags et d’insultes. Il y aussi quelques agressions physiques. Parmi les nombreuses victimes, Norbert, un père de famille, juif non pratiquant, qui habite en région parisienne.

 

Dans son quartier pavillonnaire paisible du Val-d’Oise, cette famille aurait pu se croire à l’abri des conséquences du conflit entre Israël et le Hamas. Et pourtant… Au total, leur maison a été caillassée une dizaine de fois. Mais rien chez les voisins. Alors Norbert a forcément fait le lien avec son nom de famille à consonance juive, inscrit sur la boîte aux lettres.

Des plaintes pour ne pas laisser passer

Il y a quelques jours, Norbert et sa femme ont réussi à identifier plusieurs de leurs agresseurs : des ados du quartier. Norbert et sa femme ont porté plainte. L’Observatoire juif de France s’est porté partie civile. Le père de famille qui se définit comme “non pratiquant et laïc” ne veut pas “laisser passer ça”. Lui, le fils de déporté – son père a connu les camps de concentration – est abasourdi par la situation : “Quand je vois ce regain d’antisémitisme, je me dis que l’histoire se répète.”

Mais malgré ces agressions, Norbert souhaite garder la tête haute : “On a vécu un stress depuis un mois. C’est en train de se calmer avec nos actions, comme cette plainte. Mais nous n’avons pas peur et nous ne souhaitons pas déménager. Ce n’est pas aux victimes de changer de lieu d’habitation, bien que cela nous soit passé par la tête.”

Norbert et sa famille ont participé à la manifestation contre l’antisémitisme à Paris, le 12 novembre dernier. “Cela m’a fait beaucoup de bien”, reconnaît-il, avant de conclure en souriant : “J’ai même marché aux côtés d’Alain Souchon

Lettre Ouverte par Georges Benayoun

Une réponse à mes amis artistes de la Marche Pour La Paix. Par Georges Benayoun

Israel-Gaza: l’appel de 500 artistes à marcher pour faire entendre
“la voix de l’union” en France.  

Le 13 novembre, le magazine Télérama publiait un appel à une marche pour la paix initié par le collectif “Une Autre Voix” et signés par plus de 500 artistes.

Comme d’autres professionnels et créateurs, la lecture de cette tribune m’a rendu triste et a renforcé mon sentiment d’incompréhension et de solitude.

Dire d’abord que je ne doute pas de la sincérité de la plupart des signataires, certains amis ou talents avec lesquels j’ai travaillé ou travaille encore aujourd’hui, d’autres pour lesquels j’ai aussi beaucoup de respect.

Mais dire ensuite que même s’ils sont pressés d’alléger leur conscience, les artistes ne doivent pas s’empêcher de savoir lire ce qu’ils signent.

Concernant les auteurs de cet appel auxquels je m’adresse particulièrement ici, on dira, par charité juive, qu’ils ont du être submergés par leurs émotions.

Parce que, quand même, il aura fallu 5 semaines lourdes de votre silence pour recevoir de vos nouvelles. Y aller ou pas, en avoir ou pas? Vous n’avez pas su, devant ce pogrom génocidaire, dépasser vos biais idéologiques.

5 semaines pour un texte dont les ambiguïtés angéliques creusent, un peu plus profond, ces vieilles blessures -je vous évite leur énumération- que l’Histoire m’empêche de cicatriser et que ce 7 octobre a ravivées à jamais.

La cruauté de ces massacres semble avoir perturbé vos schémas naturels de défense de la “cause” palestinienne, comme si vous étiez soudain orphelins de vos automatismes. Votre texte alors soulève plus de questions qu’il n’encourage la concorde. Pourquoi avoir attendu qu’Israël commence à riposter pour vous insurger? Et pourquoi mettre sur le même plan les assassins palestiniens du Hamas et un État démocratique, de droit et en droit de se défendre? Que je sache, aucune marche d’artistes ou de politiques quand Mossoul et ses deux millions d’habitants -au milieu desquels se cachaient les terroristes de Daesh- étaient bombardés par les armées occidentales. Émotions sélectives.

La mort d’un être humain est toujours une souffrance. Elle brise ces vies futures qui ne viendront jamais. Mais les survivants doivent-ils tendre la main à leurs assassins pour mieux les laisser préparer la mise à mort qui viendra? On demande à Israël de devenir le Juif des Nations, celui qu’on n’aime jamais autant que lorsqu’il est mort, brulé, rayé des vivants. Nous nous sommes endormis sur le plus jamais. Nous nous battrons maintenant pour en faire une réalité.

Mais parlons du texte.

Le cadre d’abord. L’entre soi, celui qui tient chaud, celui qui fait vous sentir appartenir, celui du minimum syndical, de l’émulation de la bonne conscience, de la duplicité et de la duperie, de l’engagement convenable, du frisson à bon compte. Une marche en blanc, “humaniste et pacifique”, écrivez vous. Pour paraphraser Churchill, les mouvements pacifiques ont toujours annoncé la défaite de la paix et accompagné les démocraties au déshonneur. Munich bien sûr, mais aussi ces organisations trotskistes (dont LFI si populaire dans le métier est un bâtard), qui ont renvoyé dos à dos les alliés et les nazis pendant la 2ème guerre mondiale. La démocratie est un combat. Il devrait être le nôtre, à tous.

Puis le parcours. De l’Institut du Monde Arabe au Musée d’Art Juif. Étrange raccourci. D’un lieu de pouvoir, d’intrigues et de dissimulation financé en grande partie par la Ligue arabe à un lieu de culture et de mémoire. Pourquoi cette insistance, que je sens tant vous ronger, à imposer une équivalence qui n’est pas?

Les mots enfin, ceux qui tuent.

Ce n’est pas le monde qui s’est “réveillé éventré”, ce sont des femmes des hommes et des enfants et eux pour de vrai, pas pour une formule choc et lapidaire. Pourquoi ne vous attardez vous pas sur ces massacres comme vous le faites sur les victimes palestiniennes de la guerre? Leurs morts dans des conditions indescriptibles, et brulés pour détruire jusqu’à leurs traces, sont pourtant documentées. Annihilés parce qu’ils étaient juifs ou parce qu’ils travaillaient avec des juifs, musulmans chrétiens, thaïlandais et autres.

J’ai vu ces images. Cette femme enceinte filmée par ses bourreaux, bâillonnée pour ne pas entendre ses cris, dont on ouvre le ventre pour en sortir son foetus qu’ils égorgent devant ses yeux avant de la laisser se vider de son sang. Où est votre rage, féministes signataires toujours promptes à dénoncer les violences faites aux femmes, face aux corps de femmes gisantes le sexe atrophié, mutilé? Je n’entends pas votre colère. Les femmes juives seraient-elles trop encombrantes? Votre silence vous a rendues inaudibles. Les viscères de l’humanité vous pesaient-elles trop pour glisser si vite de vos mains tant elles dérangeaient vos certitudes?

Les “milices terroristes du Hamas”. Comme il est confortable ce mot Hamas, il permet de ne pas salir le mot “palestinien” auréolé et sacralisé par son statut de victime. Mais est-ce à dessein ou par ignorance que vous oubliez de rappeler que, derrière ces sinistres “terroristes”, des centaines de civils palestiniens gazaouis se sont engouffrés pour piller, violer, supplicier, kidnapper femmes et enfants, dans une jouissance inhumaine?

“Le 7 octobre 2023, 240 civils israéliens ont été kidnappés et demeurent introuvables. Depuis le 7 octobre 2023, il y a eu le 8, le 9, le 10… jusqu’à ce jour et jusqu’à quand ?” Ce que Evelyne Chauvet, éminente psychiatre, appelle “l’enjambement de l’horreur”. Le 7 octobre enveloppé comme on emballe les morts puis étouffé quantitativement par le “8, le 9, le 10… jusqu’à ce jour et jusqu’à quand” avant d’être dégagé – avec les 238 otages, dont il ne sera plus fait mention- pour faire place à un développement apocalyptique des souffrances -réelles- des populations civiles palestiniennes (tiens, plus de Hamas pour le coup) à grand renfort de chiffres diffusés par l’organisation terroriste. Du sang et des morts “toutes les heures, tous les jours sous les bombardements de l’armée israélienne”. En résumé, exit le Hamas, l’autorité en charge de Gaza, soutenue par une grande partie de sa population par adhésion ou par contrainte. L’équation soudainement se résume à Israël, son armée contre les pauvres gazaouis.

Je tiens à votre disposition les conversations entre les assassins du 7 octobre et leurs pères et mères les encourageant à “s’emplir les mains du sang des juifs”. Votre exercice de funambule ne risque-t-il pas d’apparaître pour ce qu’il est, déséquilibré? Attention à la chute. Et puis sérieusement, ne pensez-vous pas que si l’armée du peuple d’Israël ne se souciait pas du sort des civils gazaouis, cela ferait bien longtemps que Gaza, comme Dresde (25.000 morts) ou Le Havre ( à 80% détruite) bombardées par les alliées pour libérer l’Europe de la barbarie nazie, ne serait que ruines.

“Ni clan, ni camps” -que je n’aime pas ce mot- écrivez-vous à raison. Juste le choix de la démocratie contre la barbarie, de la liberté contre la soumission, le choix de nos modes de vie même imparfaits contre cet islamisme qui les hait. Rappelez-vous toutes ces vies arrachées au Bataclan, et les terrasses ensanglantées de Paris ce 13 novembre 2015. Les mêmes, mais pourquoi ne pas vouloir le voir?

“Aujourd’hui nos rues sont divisées. Une vague immense de haine s’y installe peu à peu et tous les jours actes antisémites et violences en tous genres surgissent dans nos vies”. Est-il si difficile de nommer les choses pour ce qu’elles sont? 1800 actes antisémites déclarés depuis le début de l’année dont 1600 depuis le 7 octobre pour une communauté qui représente 0,7% de la population française. L’angoisse dans tous les foyers juifs de France, des mezouzot qu’on enlève aux portes des maisons, des étoiles de David qu’on cache, la crainte de commander un Uber de peur de se faire agresser à cause de son patronyme, les murs qu’on rase dans les rues le soir ou mon fils qui me demande de ne plus porter un bonnet breton de peur qu’on l’assimile à une kippa…

Quelles sont ces “violences en tous genres” que vous invoquez pour escamoter cette situation? Quelles qu’elles soient -vous avez du mal à les citer-, elles ne seront jamais à l’échelle de celles que la communauté juive affronte au quotidien. Et puis juste une question sur le sujet: pourquoi votre collectif ne s’est-il pas aussi associé à la marche contre l’antisémitisme? Y aurait-il les bons juifs qui signent votre appel et les mauvais juifs comme moi, ici, qui se lèvent pour dire leur colère?

“Deux peuples pris en otage de politiques que nous ne pouvons maîtriser, qui nous dépassent et dont nous sommes les témoins impuissants”.

Et ce ne sont pas deux peuples pris en otages -le mot ici me semble maladroit- par les politiques. C’est un peuple qui se lève par centaine de milliers depuis un an pour la démocratie face à une population acquise ou soumise à un régime fasciste et théocratique qui n’a rien à faire de la souffrance de ses administrés. D’ailleurs je m’attendais à ce que dans un élan de lucidité vous demandiez la libération du peuple gazaoui du joug de son tyran, le Hamas. Une occasion ratée.

“Cette guerre fratricide nous touche toutes et tous, et peu importent nos raisons ou affinités de part et d’autre du mur, nous souhaitons qu’elle cesse immédiatement et que les deux peuples puissent enfin vivre en paix”.

Je regrette que votre émotionnel ne prenne le pas sur la culture. Il ne s’agit pas d’une guerre fratricide. Mais d’une guerre existentielle pour les Israéliens, une guerre aussi de religion pour le Hamas. Les assassins qui ont organisé ce pogrom génocidaire aux cris de Yahoud -juifs- et Alahu Akbar, ne peuvent être des frères quand ils déclarent vouloir la mort de mon peuple, la mienne. Si depuis mon enfance, j’ai bien retenu une leçon de mon errance, c’est qu’il faut toujours croire son ennemi. “Free Palestine de la mer au Jourdain”! Mais où nos “frères” vont-ils mettre les juifs?

Alors souhaiter que cette guerre cesse immédiatement est une faute. Outre que cette prise de position relativise totalement l’esprit de neutralité annoncé de votre appel, je pense comme l’a dit récemment l’ancien Premier Ministre Bernard Cazeneuve en rendant son honneur à la gauche française, que “Si le Hamas libère les otages et dépose les armes, il n’y a plus de guerre. Si Israël arrête de se défendre, il n’y a plus d’État israélien”. Autrement dit, sans même faire mention de la libération des otages, votre appel demande à Israël de planifier son suicide. Désolé d’insister mais, depuis Abraham, mon peuple a choisi la vie.

Cher collectif “D’une autre Voix”, votre texte, dont je suis sûr que l’intention première était respectable, s’est égaré pour devenir un appel au déni, une dépose d’armes devant un islamisme mortifère. Nous valons mieux que ça. Mais, puisque marche blanche il y aura quand même, j’espère, au moins, que beaucoup d’entre vous porteront ce ruban jaune, signe de solidarité et de mémoire avec les 238 otages dont 8 compatriotes français. Pour rompre vraiment votre silence.

© Georges Benayoun

 

Le journal de Sylvain Tesson : porter haut l’étoile

Le journal de Sylvain Tesson : porter haut l’étoile

Dans son journal du mois, l’écrivain voyageur évoque son attachement à Israël et s’inquiète du retournement des consciences qui transforme l’État hébreu, victime sanglante, en coupable.

Par

Le kibboutz d’Ein Gedi, dans le désert de Judée, sur la rive occidentale de la mer Morte, en Israël.
Le kibboutz d’Ein Gedi, dans le désert de Judée, sur la rive occidentale de la mer Morte, en Israël.
© ARTHUS-BERTRAND Yann / hemis.fr
 
 

L’esprit des lieux
On porte en soi des lieux. Ou du moins un peu de l’esprit qui en émane. Qu’est-ce que l’esprit d’un lieu ? La somme de son influence historique et de son rayonnement poétique, de sa signification et de son paysage, mêlée de nos souvenirs, de nos rencontres et de nos dilections. Et cette alchimie parfaitement confuse et souvent inconsciente (j’ai parlé dans ces colonnes des « rivières souterraines » qui me liaient presque charnellement à l’Arménie) finit par composer dans le cœur de l’être une géographie intérieure glissée silencieusement en dessous du plan de la géographie réelle (la terre et les morts) dont il procède. En d’autres termes, de même qu’on se sent nostalgique des temps que l’on n’a pas connus, on peut se sentir le fils des terres d’où l’on ne vient pas. On est de quelque part, et on se sent d’ailleurs.

 

<FIGCAPTION>Sylvain Tesson.</FIGCAPTION> ©  Didier Fontan © 2023
Sylvain Tesson.
© Didier Fontan © 2023
L’Israël de mon cœur date de bien avant 1947. C’est la dette de ce que je dois aux artistes, la somme de ce qu’ils m’ont apporté, l’étoile qui scintille en moi, à six branches. Tout Européen porte en lui une petite parcelle du kibboutz universel irrigué par le génie juif. C’est le plafond de Chagall à l’Opéra, où le regard se perd dans un tourbillon d’or bleu quand une soprano très large n’en finit pas de souffrir ; c’est la phrase de Proust où le charroi des subordonnées emporte l’attention pour la noyer dans son bain hypnotique ; la tristesse sans paroles des Romances sans espoir de Mendelssohn ; l’insondable mélancolie des yeux de Jankélévitch allumés d’une intelligence trop douloureuse pour moi ; les grosses pattes de Kessel qui lui servaient à se battre, à boire et à écrire et jouer de la grosse caisse (et tout cela en même temps, parfois), les doutes agaçants de Gary qui ont conduit sa plume vers la promesse des aubes crépusculaires et le canon du revolver vers sa bouche ; la maladresse désespérée de Woody Allen qui promène son génie comme un caniche ahuri dans l’arrogance des gratte-ciel. (Mon étoile à six branches est comme les trois mousquetaires qui étaient quatre : elle en compte déjà sept.)

 

Bref, Israël n’est pas réductible à un ruban de terre bonifiée par l’effort sioniste entre la Méditerranée et le Jourdain, c’est l’aleph qui scintille au cœur des Occidentaux, l’incommensurable et magnifiquement disproportionnée (au regard de ses effectifs) contribution du peuple juif à l’aventure humaine. En face, le Hamas, hydre de la haine et de la certitude – je suis trop ignorant en matière théologique pour savoir si son islamisme actif est une version dévoyée ou archilitérale de l’Islam.

Israël, terre arable

Yves Lacoste était un maître d’énergie et de vivacité intellectuelle. Géographe, il avait revivifié les études de géopolitique en France, fondé la revue Hérodote et forgé le concept des représentations sans lequel on ne pouvait comprendre, selon lui, la nature des conflits. Comment les adversaires se considèrent-ils ? À quelle source culturelle, spirituelle, psychique s’abreuve leur discours sur leurs amis et leurs ennemis ? J’avais suivi son séminaire pendant un an à l’université de Paris VIII-Saint-Denis. Il commençait l’étude des conflits par l’observation des cartes et l’achevait par la peinture des représentations. Il cheminait ainsi du sol au sentiment. J’avais réalisé sous sa houlette un mémoire de diplôme d’études approfondies (DEA) dont il m’avait inspiré le sujet : « Contribution à l’étude du problème de l’eau en Israël ». J’étais parti en Israël pendant cinq semaines, en 1996, après les attentats de Dizengoff, fort de sa recommandation. J’avais visité les kibboutz de Beer-Sheva et du Golan, rencontré les officiers qui commandaient les unités de protection des sources et des puits, participé au reboisement d’un versant près de Naplouse avec les volontaires du KKL, côtoyé le patron de Mekorot (la compagnie nationale de distribution de l’eau). Comparant la profusion des jardins aux collines cimentées par le passage des troupeaux, je m’étais souvenu de la formule d’un géographe français du début du XXe siècle, dans le genre chateaubrianesque : « Les Arabes ne sont pas les fils du désert, ils en sont les pères. »

Lacoste m’avait fait travailler sur les cartes d’état-major, celle de la commission Balfour, celles de 1947 et les plus récentes que voulait bien divulguer l’administration israélienne. Et nous nous étions rendu compte que l’emplacement des kibboutz, dont nombre de Palestiniens, d’Arabes et d’hommes politiques français contestent la légitimité, correspondait dans une importante proportion aux zones infectées par le paludisme au début du XXe siècle. Ces marécages à moustiques étaient vides d’hommes. Le sionisme avait fait baisser la fièvre malarienne et permis à l’homme de vivre en jardinier après avoir créé le jardin.

Les territoires bonifiés par l’énergie de quelques braves sont présentés aujourd’hui comme des édens spoliés par les Juifs. La terre « occupée » a été d’abord drainée, asséchée, labourée, irriguée, fertilisée. Toute récolte vient d’une semence. Les kibboutzim cultivent une terre qu’ils ont fait naître.

Il y a le droit du sol. On peut le réclamer. Il y a l’invention du sol. Plus difficile à réaliser. Devant les terres insalubres, deux solutions. La voie israélienne consiste à fructifier la lande ; la voie antisioniste, à revendiquer le jardin.

 

Cessez-le-feu

Elle est étrange cette créature nommée « l’opinion mondiale » ! Elle change d’opinion, l’opinion, aussi vite que l’algorithme fournit le foin. Le réseau social oriente son rayon, l’opinion le suit du regard. Hier, comme un seul homme, « l’opinion mondiale » répétait : « Tous derrière Israël. » Les tueurs très licites du Hamas, ivres de sang infidèle, excités de littéralité coranique et de frustration sexuelle, héritiers de l’immémoriale technique du rezzou, devaient être rayés de la carte ! Voilà ce qu’on entendait.

Bien entendu, quelques voix discordaient : en France, par exemple, des politiciens habiles avaient fait les calculs. Algébriquement (mot arabe), ils avaient raison. Les nouvelles générations de l’immigration arabo-musulmane, parfois parfaitement intégrée et parfois parfaitement hostile, formeront demain un socle de population majoritaire. Nul ne peut reprocher à la statistique d’être ce qu’elle est : froide. Le monde change, les peuples aussi puisqu’ils circulent. Électoralement, il n’est pas inutile de prendre en considération cette donnée comptable. En termes d’épicerie, Mélenchon est fin. Pourtant, malgré ses petites arithmétiques, le lendemain des pogroms perpétrés par des brutes aussi immondes que la bête de Brecht, une majorité d’âmes soutenait Israël.

Un mois plus tard, changement de discours. La grande malaxeuse cybernétique mondiale a produit d’autres images. La « vache bariolée »(Nietzsche appelle ainsi la masse de ses frères humains dans Zarathoustra) a ruminé d’autres pensées, avalé d’autres récits, digéré la prime émotion, senti naître de nouvelles indignations, écouté de nouvelles clameurs. Dans le monde transformé en caisse de résonance, la vérité d’une cause se mesure au bruit qu’elle produit. Variation brutale du sentiment. Nouveau « ressenti » en infra-cyberlangage. À présent, il faut retenir le bras d’Israël. Et que Netanyahou baisse d’un ton. Et que Tsahal se modère. Et qu’on sonne le « cessez-le-feu ». Et voilà que, par un retournement aberrant des consciences, Israël, victime sanglante, est en passe de devenir le coupable. Haro sur le rabbin ! « Faites sortir l’accusé », entend-on à Gaza.

Mais cela fait des milliers d’années que les Juifs essaient de cesser le feu, allumé contre eux par l’immense, la mystérieuse, l’immémoriale et universelle, la maudite haine du Juif, ce brasier qui couve dans certaines douves de l’âme humaine.

Un de ces foyers du mal a été localisé géographiquement. Cesser le feu en l’éteignant, c’est précisément ce qu’Israël tente de faire.

Le plaisir dans le mal

Dans Gargantua (translation de Myriam Marrache-Gouraud), lire « La harangue faite par Gallet à Picrochole » à la lumière du massacre des innocents du 7 octobre. Rabelais décrit le raid furieux (pillages et tueries) du roi Picrochole dans le royaume de Grandgousier. On croirait la description des atrocités islamistes, ce raffinement dégénéré dans l’immonde, cette jouissance à infliger la torture en y mêlant le nom de son Dieu : « La chose est tellement hors des limites de la raison, tellement opposée au bon sens, qu’à peine peut-elle être conçue par l’entendement humain, et elle restera incroyable parmi les étrangers, jusqu’à ce que les effets assurés et attestés leur donnent à comprendre que rien n’est ni saint, ni sacré à ceux qui se sont affranchis de Dieu et de la raison pour suivre leurs égarements pervertis. »

Défense de Guillaume Meurice

N’écoutons pas le saint Coran ni nos mauvais sentiments. Ne lapidons pas les pécheurs. Surtout quand ils sont à terre. Quiconque a le privilège d’être un plaisantin administratif, appointé mensuellement par l’État (bouffon du roi en langage d’Ancien Régime), a légitimement le droit de vouloir conserver sa position, le confort de sa situation, son pouvoir de sarcasme, la régularité de ses émoluments. Pourquoi Guillaume se serait-il mis en danger physique en décochant ses astuces contre les musulmans ? Se moquer de la position du mahométan sur son tapis de prière ? Parler des frasques du Prophète et de la violence coranique ? Il aurait risqué de se faire molester ! Quand on a un petit capital à préserver, il faut prendre ses précautions. Pourquoi reprocherait-on à un actif de protéger ses intérêts ? Il n’y a pas de honte à se montrer prudent. L’avantage en France, avec les Juifs : on ne risque pas de coups et blessures corporelles. Personne n’a jamais rafalé de journalistes en déclamant la Torah. Guillaume, continue ! les Juifs, pour la poilade, c’est tout confort, la vie de ma mère !

Lettre à mon fils : « De massacres en pogroms, nous avons toujours su nous relever »

 

Ancienne journaliste de TF1 et de i24News en Israël, où elle a vécu sept ans, Jessica Lederman* s’adresse ici à son fils de 4 ans, qui sera amené à découvrir plus tard les massacres du 7 octobre.

Mon amour,

Tu as dû remarquer ces derniers temps que aba [père, en hébreu] et maman passent plus de temps que d’habitude sur leur téléphone à regarder les informations, et ne sont parfois pas aussi présents que tu l’aimerais.

Toi qui vois et ressens tout, tu as certainement vu des larmes couler sur le visage de aba pour la première fois et senti l’inquiétude dans le regard de maman.

Tu as aussi certainement entendu le mot Israël prononcé bien plus souvent que d’habitude dans nos conversations.

Alors oui, tu as raison de me regarder avec tes grands yeux inquisiteurs. Un jour tu découvriras les images de ce 7 octobre 2023 et tu me demanderas « Pourquoi ? ».

Mais tu vois, mon ange, pour l’instant j’ai encore du mal à trouver les mots. Tu es juif, tu le sais déjà puisque tu portes fièrement ta petite kippa sur la tête le vendredi soir. Et uniquement pour cette raison, certaines personnes sur cette terre te détestent déjà. J’en suis profondément désolée, j’aurais aimé t’offrir un monde différent, meilleur. Je te rassure, tu n’as absolument rien fait qui justifie cette haine. Ni toi, ni nous, ni papi, ni safta [grand-mère], ni saba [grand-père]. Non. On nous déteste pour ce que l’on est.

Un déferlement de haine contre notre petit peuple

Et malheureusement, c’est le cas depuis la nuit des temps. Tu te souviens de l’histoire des dix plaies d’Égypte que tu aimes lire avec aba ? On nous détestait déjà à cette époque, lorsque nous étions les esclaves de Pharaon, et encore après sous l’Inquisition, et encore après dans l’Europe des nazis et dans de nombreux pays arabes où nous avons été persécutés.

 

Tu sais, c’est à cause de ça que la famille de saba a fui l’Irak pour trouver refuge en Israël, et que la famille de papi a quitté sont petit shtetl de Pologne à temps pour ne pas être déportée par les nazis vers les camps de concentration.

Il y a, en ce moment, un déferlement de haine contre notre petit peuple. Une haine dont aba et maman ne pensaient jamais être témoins. Toute cette haine, ne la laisse jamais entrer en toi. Sois toujours fier de toi, de tes traditions, de ta famille et de son passé. Marche la tête haute, toujours. Et défends les valeurs que nous te transmettons. Laisse l’amour et le respect guider tes actes, rien d’autre. Il n’y a que comme ça que la lumière qui s’est éteinte sur l’humanité pourra se rallumer.

C’est vrai, dans un moment pareil, nous pensions recevoir plus de soutien des gens autour de nous, mais de la compassion, personne n’en a jamais vraiment eu à notre égard.

De massacres en pogroms, nous avons toujours su nous relever. Seuls. C’est peut-être d’ailleurs pour cela que l’on ne nous aime pas beaucoup. Nous avons toujours su avancer et nous reconstruire, partout où nous avons trouvé asile. Ne cesse jamais de le faire, comme quand on t’apprend à te relever quand tu tombes.

Israël est ton pays, ta terre

Certains me disent en ce moment qu’ils voient de la rage en moi. Oui c’est vrai j’ai la rage des larmes que tu vois parfois rouler sur les joues de maman aussi. La rage contre tous ceux qui se trompent d’ennemi au détriment de la vie de millions d’entre nous, juifs, dans le monde. Contre ceux qui, par leur silence, cautionnent la barbarie et permettent à l’antisémitisme des lendemains qui chantent.

Je voulais aussi te dire que je m’excuse de t’avoir arraché si frénétiquement de l’échelle sur laquelle tu grimpais à l’aire de jeux la semaine dernière. Mais j’ai entendu des cris perçants d’adolescents non loin de nous, et mon cœur a explosé de peur. Je pouvais déjà discerner les silhouettes des terroristes qui s’approchaient de nous dans la rue avec leurs armes. J’ai eu si peur. Cette peur, je travaille à la dompter ; ça passera aussi, je te le promets.

Une dernière chose, tu me demandes souvent quand on retournera en Israël. Bientôt, mon ange. Israël est ton pays, ta terre. Son sang coule dans tes veines. Israël restera debout. On nous a peut-être mis à terre, mais on ne nous a pas enterrés.

Je t’aime,

Maman

 

*Jessica Lederman été grand reporter pour le journal télévisé de TF1, avant de diriger la rédaction française de i24News en Israël, où elle a vécu sept ans. Elle vit actuellement à Ne

Les contradictions du Président de la République !!!!

 

Diplomatie, cohésion nationale : y a-t-il encore un pilote (cohérent) dans l’avion France depuis le 7 octobre ?

Alors que des informations contradictoires suggèrent qu’Emmanuel Macron ne parvient pas à arrêter une position sur sa participation ou non à la marche contre l’antisémitisme, la diplomatie française n’a cessé de faire des volte-face ces dernières semaines.

Diplomatie, cohésion nationale : y a-t-il encore un pilote (cohérent) dans l’avion France depuis le 7 octobre ?

avec Jean PetauxFrançois Kersaudy et Naïma M’Faddel

Atlantico : La diplomatie française a multiplié les prises de positions parfois contradictoires ces dernières semaines depuis les attentats du Hamas du 7 octobre à travers notamment l’appel pour une coalition anti-Hamas, les demandes de cessez-le-feu via le vote de la France à l’ONU… Comment analyser la stratégie diplomatique de la France et d’Emmanuel Macron ? Y a-t-il encore véritablement un pilote dans l’avion ?

François Kersaudy : Il ne faut pas oublier sa première réaction devant l’horreur du 7 octobre : deux jours plus tard, il signait une déclaration commune avec les Etats-Unis, la Grande Bretagne, l’Allemagne et l’Italie, qui affirmait leur soutien « ferme et uni à l’Etat d’Israël », ainsi que leur « condamnation sans équivoque » du Hamas. Il était toujours sur la même ligne lors de son voyage en Israël, lorsqu’il soutenait le droit d’Israël à se défendre et préconisait même une « coalition internationale contre le Hamas » sur le modèle de celle constituée contre Daech – ce qui avait un sens, à condition de se faire dans la discrétion: c’est que l’Egypte, la Jordanie, le Liban, le Maroc, les Emirats arabes et même l’autorité palestinienne craignent le Hamas comme la peste et rêvent de s’en débarrasser, mais ils ne vont pas le chanter sur les toits, car ils  sont conscients de l’influence exercée par les islamistes sur leur propres populations. Puis, comme toujours, le président Macron commence à s’effrayer de sa propre hardiesse, et il déclare à Mahmoud Abbas que « rien ne saurait justifier les souffrances des civils à Gaza ». En d’autres termes, il faut certes faire l’omelette, ainsi qu’il l’a dit aux Israéliens, mais à condition de ne pas casser d’œufs, comme il l’affirme ensuite aux Arabes. A une autre époque, cela aurait donné : « Il faut bien sûr se débarrasser d’Hitler, mais sans bombarder Berlin !».  Arabes et Israéliens auront donc reconnu le « en même temps » légendaire du président Macron, qui se précise dans les discours jusqu’au 10 novembre : s’il « partage la volonté des Israéliens de se débarrasser du terrorisme », il s’empresse d’ajouter qu’Israël doit cesser ses frappes sur Gaza et appelle à un cessez le feu – ce qui revient en pratique à renoncer à se débarrasser du terrorisme. S’il a trouvé une recette géniale pour faire à la fois l’un et l’autre, il ne semble pas l’avoir communiquée aux parties intéressées…   

Jean Petaux : L’analyse des choix et du positionnement politique du Président Macron, dans la présente crise internationale, tant en ce qui concerne le théâtre des opérations que les « retombées » nationales de la séquence débutée le 7 octobre est, de fait, compliquée. Cette complexité analytique tient essentiellement à l’absence de ligne claire dans la stratégie élyséenne. On a en mémoire la fameuse formule du général de Gaulle, dans « Les Mémoires de Guerre » alors qu’il fait le récit de son voyage au Proche-Orient (Le Caire entre autres destinations) et que les Forces Françaises Libres vont devoir livrer combat contre les troupes françaises restées fidèles à Vichy qui « tiennent » (encore) « Le Levant » (Liban et Syrie, sous mandat français depuis 1920) et, surtout qu’il va devoir se confronter à son allié britannique, très présent sur place entre l’Egypte et la Palestine d’alors. De Gaulle écrit cette phrase remarquablement ciselée :  « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples ». L’Orient (le Moyen et le Proche) s’est complexifié mille fois depuis 1941-1942, raison de plus pour simplifier encore, jusqu’à l’épure peut-être, ses idées. Au lieu de cela, comme souvent chez les esprits supérieurs, trop intelligents en somme, Emmanuel Macron essaie de construire une machinerie diplomatique qui n’est pas sans rappeler la ridicule « pompe à phynance » du Roi Ubu, le souverain absurde caricaturé par Alfred Jarry. Trop « subtile », trop « sophistiquée », trop « ondoyante ».

Il est tentant de remettre en perspective la valse hésitation du président de la République française, aujourd’hui, avec ses attitudes antérieures relevées dans les crises de politique intérieure que vous mentionnez ou dans les situations exceptionnelles telles que la pandémie du Covid à partir du confinement décrété le 17 mars 2020. Encore que, dans ce dernier exemple, Emmanuel Macron a montré un esprit de réaction rapide que certains, d’ailleurs, lui ont reproché. Preuve qu’en politique, justement, « on ne peut contenter tout le monde et son frère »… C’est justement parce que, dans le cas de la crise internationale actuelle, Emmanuel Macron semble vouloir pratiquer une forme « d’en même temps » qu’il donne le sentiment de ne pas avoir de cap. Le proverbe chinois dit : « Le vent souffle toujours dans la mauvaise direction pour celui qui ne sait pas où aller ». Il faudrait sans doute qu’Emmanuel Macron se donne un cap, un vrai, un solide. Y compris éventuellement qu’il ne dise rien et ne fasse rien du tout dans ce dossier. Cela aurait le mérite d’éviter qu’on lui reproche d’être un « canard sans tête », dans cette séquence, comme cette comparaison a été déjà faite, à son détriment.

Comment expliquer l’échec de la conférence internationale sur l’aide humanitaire à Gaza ainsi que le forum sur la paix de Paris organisé ce week-end? Pourquoi ces initiatives de la diplomatie française sont dans l’échec et n’apportent pas de résultats tangibles ? Ces initiatives ne soulignent-elles pas n’y a-t-il pas une tentation chez Emmanuel Macron de tout ramener à lui ?

Jean Petaux : Si tel est était le cas, cela aurait au moins une vertu : l’action précédée d’une vision. Or cela ne semble pas être le constat que l’on peut faire. « La tentation de reprise » (de tout) a peut-être été celle à laquelle a souvent succombé Emmanuel Macron depuis son arrivée à l’Elysée en mai 2017. Le reproche lui en a d’ailleurs suffisamment été fait : « Jupiter », « hyper-présidentialisation du régime »… Souvent les critiques de Macron étaient d’ailleurs parfaitement contradictoires entre eux. Les mêmes qui accusaient le Président de tout concentrer entre ses mains pouvaient lui reprocher, « en même temps » (sic), de ne pas suffisamment agir ou de laisser filer le cours de telle ou telle situation. Depuis le 7 octobre 2023, depuis les massacres commis par les terroristes du Hamas, depuis l’importation des événements qui se sont enchainés dès lors, sur le sol français, ce n’est pas tant la sur-implication ou, à l’inverse, l’inaction présidentielle qui interroge. C’est l’absence de vision politique. Là où il faudrait une prise de position solide, déterminée, « imprimant » les esprits, on relève dispersion, lancement de « ballons d’essai », replis suivis de propositions ponctuelles auxquelles succèdent d’autres replis. Lénine avait inventé la « polka piquée » comme méthodologie révolutionnaire. On peut se demander si ce n’est pas la « chorée de Sydenham », plus connue sous le nom populaire de « la danse de Saint-Guy », qui affecte, aujourd’hui, le Président de la République.

François Kersaudy : C’est sans doute que le président Macron souffre d’un déficit de crédibilité. Sa trop grande volonté de plaire à tout le monde est interprétée comme de la faiblesse. Dans toutes les chancelleries, on a noté ses valses-hésitations sur la Russie ou sur Taïwan, pour ne rien dire de ses déclarations à Alger sur la colonisation française comme crime contre l’humanité. « Il ne faut jamais se prosterner », disait le général de Gaulle – surtout dans les parties du monde où l’abaissement et l’autoflagellation suscitent le mépris et la vindicte. Par ailleurs, la plupart des nations ne respectent que la force, et ce n’est pas exactement l’impression que donne actuellement une France divisée, endettée, déboussolée et confite dans le repentir. Dès lors, pour continuer à plaire et trouver absolument un consensus, Macron n’a plus que la solution de l’humanitaire : un navire sanitaire pour Gaza, 50 tonnes de vivres et de médicaments, et « une aide financière internationale aux pays vulnérables du Proche-Orient ». Et pour faire bonne mesure, quelques truismes bien sentis, tels que « une vie palestinienne vaut une vie française qui vaut une vie israélienne »… 

Historiquement, la France a-t-elle été dans une situation aussi délicate sur le plan diplomatique ?

François Kersaudy : Oui, bien sûr, par exemple en juin 1967 : le général de Gaulle devait tenter de concilier une politique traditionnelle française de soutien à Israël avec sa nouvelle diplomatie mondiale, qui exigeait de bons rapports avec les pays arabes. En outre, il fallait les dissuader de se rapprocher trop de l’URSS – et aussi les ménager en raison de la dépendance française au pétrole du Moyen-Orient. D’où un grand écart dans les déclarations publiques du président, mais qui passait plutôt bien, parce que… c’était le général de Gaulle !  

Alors qu’il se présentait comme le maître des horloges, comment expliquer que le président soit incapable de répondre politiquement à cette crise ?

Jean Petaux : « Être le maître des horloges » ne doit pas être confondu avec la gestion et la maitrise des événements pendant que le temps « passe ». On peut peser sur l’agenda politique, marquer le « tempo » d’une séquence politique comme un champion cycliste organise, seul ou avec ses coéquipiers le rythme d’une étape du Tour de France. On peut, comme un compositeur, souhaiter écrire une œuvre musicale avec les mouvements qui iront du « largo » à « l’allegro » (« ma non troppo » ou « poco largo ») en passant par le « moderato » (pas forcément « cantabile » pour évoquer ici Marguerite Duras)… Tout cela est bel et bon. Le « Maitre des Horloges » croit qu’il est le « Maitre du temps ». Mais rien ne nous est dit de ce qu’il fait du temps qu’il maîtrise… Chez Haroun El Poussah, le calife de Bagdad, personnage créé par René Goscinny et Jean Tabary, le « Maître du temps » passe son temps à dormir. Ce qui surexcite son Grand Vizir, Iznogoud (dont la ressemblance avec un ministre de l’Intérieur français du milieu des années 2000 rêvant de devenir président de la République, en troubla plus d’un) qui veut lui prendre son siège. L’analogie ne vaut pas pour Emmanuel Macron qui fut plus dans le rôle d’Iznogoud en 2016-2017 poussant hors du jeu le « calife Hollande »…. Mais il n’en reste pas moins que, dans une crise comme celle que connait le monde aujourd’hui, et donc la France, il conviendrait de remplir les heures plutôt que de tenter d’en maitriser l’inexorable cours.

Sur le plan de la politique intérieure, les hésitations et pour partie la peur d’Emmanuel Macron depuis le 7 octobre, ne masquent-elles pas une peur des émeutes ?

François Kersaudy : C’est une évidence. La politique intérieure influe sur notre politique extérieure, et elle le fera de plus en plus, à mesure que s’accroitra en France le nombre de musulmans– avec tous leurs conflits importés et leur vulnérabilité à l’islamisme conquérant. De toutes les peurs du président Macron, celle d’une guerre civile pendant son quinquennat est probablement la plus prégnante.   

Jean Petaux : Je ne dispose pas de toutes les informations de politique intérieure auxquelles peut avoir accès le chef de l’Etat. J’ai déjà eu l’occasion de dire, à plusieurs reprises dans mes réponses aux questions d’Atlantico, qu’une des erreurs parmi les plus importantes commises par Nicolas Sarkozy (la concurrence est rude entre elles, tellement il y en a eu) a été la réforme du renseignement intérieur et le démantèlement des Renseignements généraux. Cela avait déjà commencé sous Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur entre 1993 et 1995, dans le gouvernement Balladur. Il n’est quand même pas banal de constater que ce sont deux personnalités politiques françaises appartenant à la catégorie des « sécuritaires », la plus « ancienne » des deux, (Pasqua), proclamant qu’il allait « terroriser les terroristes », la plus « jeune » (Sarkozy) prétendant « nettoyer tout ça au Kärcher, qui ont cassé un outil d’information essentiel des pouvoirs publics : les Renseignement généraux (RG). Résultat des courses, même en essayant de reconstruire l’outil démantelé, aussi bien les présidents Hollande que Macron (encore que les derniers chiffres budgétaires, pour 2024, dans ce domaine précis, ne sont pas du tout synonymes de renforcement de l’outil RG devenu RT – Renseignement Territorial) n’ont jamais reconstitué les sources policières de « signaux faibles » qui permettaient à leurs prédécesseurs, contre les terroristes de l’OAS dans les années 1961-1964, contre les groupuscules gauchistes dans les années 1968-1973, contre le terrorisme d’Action Directe dans les années 80, de faire fonctionner des capteurs précis et efficaces. Aujourd’hui, en matière de « températures » dans les milieux islamo-gauchistes, les mesures et les relevés manquent, c’est évident. Sans doute que cette cécité plonge le plus haut niveau de l’Etat dans une forme de paralysie qui traduit, de fait, une peur autant nourrie par l’ignorance de l’état réel de l’opinion publique et surtout des « points chauds » que par une volonté politique affirmée…

François Mitterrand, président de la République, avait rejoint, à la surprise générale, le grand cortège qui avait défilé à Paris après la profanation antisémite du cimetière juif de Carpentras, à Paris, où le 14 mai 1990, entre 80.000 et 200.000 personnes (selon les différents pointages) défilèrent contre « le racisme et l’antisémitisme », à l’appel du CRIF. Toute la classe politique, majorité de gauche et opposition de la droite et du centre réunies, manifesta, ce jour-là, au coude à coude. Une seule formation politique était maintenue à l’écart : le FN de Jean-Marie Le Pen. Eh oui, Monsieur Bardella, rendez-vous compte : « Le père fondateur du parti dont vous présidez l’avatar avait déjà, alors, été condamné par la justice pour propos antisémites… ». L’exécutif de l’époque (Mitterrand à l’Elysée, Rocard à Matignon) et le Parlement (l’Assemblée était présidée par le socialiste Laurent Fabius et le Sénat par le centriste Alain Poher, dans l’opposition au gouvernement) n’avaient pas tergiversé. De la même manière que lors des grandes marches qui ont suivi les attentats terroristes et islamistes de janvier 2015, à Paris et en Régions, l’union nationale s’est faite sans réserve. Emmanuel Macron ne devrait pas jouer l’arbitre au-dessus de la « mêlée ». La manifestation de dimanche est organisée par le CRIF, parfois dans des métropoles régionales par la LICRA, tout comme le fut celle consécutive à la profanation du cimetière juif de Carpentras, il y a plus de 33 ans. C’est une raison déjà suffisante pour y participer.

Il y a des circonstances où le retrait n’est pas à la hauteur de la fonction. L’explosion des actes antisémites dans notre pays depuis le 7 octobre, des actes commis à l’encontre de Français, parce qu’ils sont réputés, identifiés, détectés, comme Juifs, justifie que le chef de l’Etat, garant de la sécurité de tous les citoyens français, croyants ou pas, priant le Dieu des Chrétiens, celui des Musulmans, celui des Juifs, ou ne priant personne, s’engage. Qu’il s‘engage physiquement et personnellement en marchant avec les Français qui se mobiliseront pour d’autres Français, et en fait pour leur propre sécurité, dimanche 12 novembre à Paris et en Régions.

Naïma M’Faddel : On peut le penser car les émeutes sont passées par là. Ces violences urbaines étaient bien plus graves qu’en 2005. A l’époque, les incidents étaient concentrés sur certains quartiers uniquement et cela concernait principalement des feux de poubelles et de voitures.

En 2023, les dégradations ont été plus importantes et des symboles ont été visés, des bâtiments publics, des commissariats, des centres sociaux et culturels, des maisons de quartiers. De nombreux pillages ont eu lieu. Il y a eu des difficultés à maîtriser la situation lors des émeutes de l’été 2023.

Après le 7 octobre, les attentats du Hamas et suite aux bombardements de l’armée israélienne à Gaza, beaucoup de citoyens ou de responsables politiques craignaient qu’il y ait des émeutes en France. Or, il n’y a pas eu d’émeutes en France depuis.

Il y a eu aussi des craintes d’émeutes lorsque la police a neutralisé une femme dans une station de RER à Paris alors qu’elle proférait des menaces de commettre un attentat. Là encore, il n’y a pas eu d’émeutes suite à cet incident.

En réalité, et à juste titre le président pouvait craindre des attentats terroristes et des actes antisémites. Comme le confirme l’explosion des actes antisémites.

Est-ce que l’attitude d’Emmanuel Macron sur ce dossier depuis les attentats du 7 octobre en Israël démontre qu’il a peur d’être confondu avec l’extrême droite ? Et pourquoi finalement refuse-t-il d’avoir des mots clairs ?

Naïma M’Faddel : Le président a eu pourtant un positionnement équilibré dès le début de ce conflit.

Le président de la République, en tant que garant de l’unité de la nation, aurait dû s’adresser aux citoyens sur la situation au Proche Orient. Le président aurait dû lancer un appel afin de se mobiliser dans le cadre de la manifestation contre l’antisémitisme. Le chef de l’Etat aurait dû appeler à l’unité de la nation, à la cohésion nationale dans un souci de concorde. Il aurait dû adresser un message d’unité à tous les Français, quelles que soient leurs confessions. Appeler l’ensemble des autorités religieuses à se joindre à lui. Cette parole du chef de l’État devrait pouvoir servir à éviter l’importation du conflit. Aujourd’hui, la nation est menacée dans son équilibre.

Ce conflit s’il est importé sera déclencheur de plus de fractures.

Or, les habitants des quartiers ne demandent qu’à entendre un discours clair.

Aujourd’hui, ces citoyens sont pris en otage par LFI et de l’autre côté, le président de la République ne s’adresse pas réellement à eux.

En l’absence de dialogue et de discours politique franc, les citoyens peuvent être tentés de se tourner vers ceux qui soufflent sur les braises.

En quoi la position d’Emmanuel Macron sur la crise au Proche-Orient et ses déclarations parfois contradictoires montrent que le chef de l’Etat ne comprend pas vraiment plus les musulmans que Jean-Luc Mélenchon ?

Naïma M’Faddel : Le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a une posture scandaleuse. Il n’a pas été très clair sur les attentats et notamment sur les attaques du Hamas.

Jean-Luc Mélenchon a le rôle facile. C’est un tribun ; un homme politique qui réfléchit en termes d’électorat et de masses mobilisables de votants. Il est dans la flatterie. Ce n’est pas un homme d’État qui pense à l’intérêt de l’État, de la nation. Donc on ne peut le comparer au Président de la République qui, de par sa fonction de chef de l’État, doit avoir le souci de la concorde nationale.

Le Président a tenu, dans sa stratégie diplomatique, à rencontrer les pays limitrophes d’Israël, les principaux acteurs de la région et du Proche-Orient.

Le président de la République a notamment échangé avec le dirigeant égyptien al-Sissi par exemple et avec le représentant de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.

Emmanuel Macron a clairement condamné les attentats terroristes du Hamas, contrairement à Jean-Luc Mélenchon. Le président de la République a aussi estimé qu’il fallait une solution avec deux États.

Le chef de l’État a ensuite appelé à un cessez-le-feu. Il a également organisé une conférence humanitaire pour Gaza. Même si cet événement a été critiqué, des représentants de tous les pays, dont des pays importants comme le Qatar ou l’Arabie saoudite, étaient présents.

Mais la parole du président de la République n’a pas été audible sur ce sujet. L’appel à une trêve et à un cessez-le-feu peut avoir une influence sur la rue arabe, dans de nombreux pays à travers le monde et auprès des musulmans en France.

Emmanuel Macron tente de renouer avec la « politique arabe » de la France. Des pourparlers seraient apparemment engagés avec le Qatar concernant la libération des otages détenus par le Hamas. Face à cette crise, Emmanuel Macron peut s’appuyer sur d’autres partenaires ou acteurs comme la Ligue arabe présidée actuellement par le roi du Maroc.

Il y a aussi le Qatar qui a un rôle majeur en tant que financeur du Hamas et hébergeur des responsables du Hamas. Aujourd’hui son image acquise depuis des décennies par le soft power est bien ternie ; aussi il doit avoir une action forte notamment dans la libération des otages.

Concernant la manifestation contre l’antisémitisme, Emmanuel Macron aurait confié qu’il ne souhaitait pas donner l’impression qu’il s’adresse à une catégorie particulière de la population (les juifs) tout en abandonnant un autre camp (les musulmans). Il faut sortir de cette logique.

Il est urgent que le président s’adresse à la nation et aux citoyens. Emmanuel Macron devrait inciter tous les Français, musulmans, chrétiens, juifs… à se rendre à la manifestation de dimanche contre l’antisémitisme. Il devrait trouver des éléments de langage en ce sens.

Face à la gravité de la situation en France, le chef de l’État doit s’adresser à son peuple. Il ne devrait pas être dominé par la peur ou par la crainte d’irriter telle ou telle partie de la population.

Mais mon propos ne serait pas complet sans que je souligne qu’au sein de la classe politique, depuis des décennies les seuls en réalité qui vont dans les quartiers pour s’adresser aux habitants sont les militant de la gauche. LFI a su profiter de ce vide.

J’ai constaté que la droite n’allait pas dans ces quartiers pour parler aux habitants. La gauche était beaucoup plus active. Une « OPA » a été orchestrée par LFI vis-à-vis des quartiers. Elle s’est faite presque par défaut. J’ai pu le constater lors de différentes campagnes électorales. A Dreux, je me souviens que l’on nous disait que ce n’était pas la peine d’aller dans les quartiers populaires, qu’ils étaient acquis à la gauche. Il s’agissait d’une grossière erreur en fait.

Les habitants des quartiers n’ont pas un profil de gauche, en vérité. Ils correspondent plutôt à la droite. Ces gens veulent entreprendre. L’entrepreneuriat est très fort dans les quartiers alors que les freins sont pourtant nombreux, notamment sur le plan administratif ou financier. Ces citoyens sont aussi plutôt conservateurs, centrés sur les valeurs familiales. Mais la droite n’a jamais su leur parler. Donc par défaut, la gauche leur parle. Lorsque la gauche s’adresse à eux, ces citoyens oublient que la gauche est progressiste et ne partage donc pas réellement leurs valeurs.

Emmanuel Macron semble avoir eu des difficultés pour trouver sa voie sur le plan diplomatique. Le chef de l’Etat n’est-il pas prisonnier de son logiciel multi-culturaliste qui l’avait amené à dire qu’il n’y avait pas de culture française ?

Naïma M’Faddel :  La majorité des habitants des quartiers expriment malgré tout un besoin, une aspiration et « une envie de la France » et à l’adhésion aux valeurs du pays. Lorsque j’étais adjointe au maire, je voyais les bienfaits de la mixité sociale et culturelle face à la ghettoïsation. Dans le cadre des politiques de la ville, il ne faut plus cultiver l’entre soi, le non-vivre ensemble.

Lors de mon engagement politique et au cours de mes différentes missions, j’ai constaté les bienfaits de la transmission des valeurs, du patrimoine français et de l’essence de ce qu’est la France. Dans le cadre de l’intégration ou dans le monde du travail, cette transmission peut apporter des bienfaits et se révèle être un atout.

Plus le chef de l’État va parler de la France, de son histoire, de sa grandeur, plus il va rendre fiers les habitants des quartiers parce qu’ils ont envie de cette France fière d’elle et non pas une France qui se perd dans le multiculturalisme et dans le déni de la culture française comme avait pu l’expliquer Emmanuel Macron. Sans la culture française, à quoi est-il possible de se rattacher dans notre pays ?

Dans un entretien accordé à la BBC, Emmanuel Macron a appelé, ce vendredi, les autorités israéliennes à mettre fin aux bombardements dans la bande de Gaza et a affirmé que l’Etat hébreu n’a “aucune légitimité” pour “bombarder et tuer” des “bébés, des femmes, des personnes âgées”. Cette déclaration à la BBC n’est-elle pas un exemple de plus d’une forme de déconnexion de la part du chef de l’Etat et d’un président perdu ?

Naïma M’Faddel : Je rejoins le Président de la République dans sa déclaration. Effectivement il faudrait arrêter ce massacre car malgré toutes les précautions prises par l’armée Israël il y a des femmes, des enfants , des vieillards qui sont tués.

Le président a du certainement adjoindre une demande de libération de tous les otages qui sont majoritairement des femmes, des enfants, des bébés.  

Jean Petaux : Accorder un entretien à la BBC aurait pu suggérer l’idée, au Président Macron, de relire les discours de Winston Churchill, sur cette antenne, entre 1940 et 1945. Ou de reprendre les textes des allocutions du Général de Gaulle au micro de Radio Londres, abritée par « Auntie », le surnom que les Britanniques donnaient à « leur » radio nationale. On peut toujours se lamenter du sort des victimes civiles consécutivement aux bombardements des cités. Homère a écrit des pages définitives sur le sac de Troie par les Grecs, dans l’Iliade et l’Odyssée…

Une fois que l’on a tenu ces propos indispensables, sous peine de perdre, à son tour, toute humanité et de ressembler à ceux qui se sont rendus coupables des pires crimes, que fait-on ? Comment fait-on la guerre à un ennemi qui utilise ses propres femmes, ses propres enfants, comme otages pour échapper à la riposte de ceux qu’il est allé agresser et qu’il a massacrés ? Comment négocie-t-on avec celui qui est près à tout pour vous détruire vous et l’Etat qu’il vous faut défendre ? Un Etat qui protège ses ressortissants en pourchassant ceux qui les massacrent et qui continueront à le faire, dès que l’occasion se représentera, dans six mois, dans un an, dans cinq ans, n’est-il pas légitime à contre-attaquer et à mener des opérations militaires ? Au prix, certes, hélas, de nombreuses victimes innocentes qui servent, encore une fois, de boucliers humains aux tueurs et aux terroristes islamistes.  Personne ne peut se féliciter des victimes gazaouïs innocentes tuées sous les bombes israéliennes.

Voilà d’ailleurs une différence absolue entre les deux « auteurs » des violences de cette guerre. Du côté des terroristes du Hamas, on a montré à grands renforts de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, de manière virale, dans le monde entier, sous les applaudissements de leurs soutiens, les meurtres et les massacres d’enfants, de femmes, d’hommes juifs. Sous les rires et la joie sadique des « combattants », en fait des tueurs islamistes. Là où les nazis ont tout fait pour cacher leur crime immonde de la Shoah, les islamistes du Hamas les mettent en scène… En face, dans l’autre camp, celui de Tsahal, qui se réjouit des enfants tués, des femmes tuées, des Gazaouïs tués sous les bombardements ? Personne évidemment. N’y aurait-il que cela : ce comportement différentiel des belligérants face à la mort exhibée (ou pas) des civils du camp d’en face, que cela devrait suffire pour ne faire ni du « en même temps », ni la leçon à l’Etat d’Israël à ses forces armées.

Il ne m’appartient pas de dire si le Président Macron est déconnecté ou perdu… Je ne m’autoriserai pas ce jugement. Je lui conseillerai seulement de relire le texte qu’a prononcé le Général de Gaulle après les épisodes de Mers-el-Kébir et, juste après, de Dakar où la marine anglaise a tiré sur les équipages des bâtiments de la marine française. Ce fut un moment terrible pour l’Homme du 18 Juin. Certains de ses biographes estiment même que de Gaulle songea au suicide après Dakar. Relire ses propos devrait être utile au lointain successeur du fondateur de la Cinquième république. Relire aussi la réaction de Churchill, rapporté par ses biographes et écrite, de sa main, dans ses remarquables « Mémoires de la Seconde guerre mondiale ». Churchill a considéré, à la suite de la prise de position de de Gaulle qui a choisi de soutenir les Britanniques qui avaient cru nécessaire et stratégique pour la suite de la guerre, de tirer sur des marins français, qu’il s’agissait-là de la position d’un véritable homme d’Etat et d’un véritable allié du dernier pays démocratique européen qui se battait encore, à l’été 40, contre l’hydre nazi. Israël est le seul Etat démocratique existant au Proche-Orient, depuis 1948. Même si le chef du gouvernement israélien n’est pas un homme digne, ni de confiance, ni de gouverner. Même si le gouvernement qu’il dirige est constitué, pour partie, de fous de Dieu et de fous furieux. Même si leur conduite politique irresponsable et injustifiable doit être condamnée sans réserve, dans la gestion de l’implantation des colonies illégales en Cisjordanie, entre autres dossiers : tout cela doit être dénoncé avec la plus grande force. Les Israéliens ne nous ont d’ailleurs pas attendus pour le faire depuis des mois, dans les rues de Tel Aviv ou de Jérusalem. Mais, en aucune façon, ces critiques doivent remettre en cause la légitimité de l’Etat d’Israël à se défendre, à pourchasser et à éliminer les terroristes qui veulent sa destruction et celle de tous ses ressortissants. Ce combat-là, légitime, n’a pas de prix. Il sera temps, ensuite, de négocier une solution qui sauvegardera les intérêts palestiniens et israéliens. Ce sera au vainqueur (Israël) de tendre vraiment la main au vaincu (l’Autorité palestinienne).

Et puis d’ailleurs, il y a mieux à faire qu’à condamner l’Etat d’Israël en ce moment quand on est Président de la République française. Il y a à protéger les Juifs, en France.

 

 

A lire sans commentaires.

Le grand récit de l’attaque du Hamas : quand Israël découvre l’ampleur des massacres

RÉCIT (3/3). Le 7 octobre, la sidération le dispute à l’effroi à mesure que les renforts militaires pénètrent dans les kibboutz et sur le site du festival Supernova. L’effroyable épreuve pour identifier les 1 400 morts commence.

Par nos envoyés spéciaux en Israël , , Danièle Kriegel (correspondante), Sébastien Leban (Photos), Théophile Simon (avec Armin Arefi, Guillaume Perrier, Julien Peyron, Bartolomé Simon, Mathilde Siraud, Géraldine Woessner)

 

Le monde a atteint un sommet d’horreur le 7 octobre 2023. Armés et soutenus par le régime iranien, les terroristes du Hamas ont fait basculer Israël dans l’effroi en massacrant femmes, enfants, vieillards… 1 400 personnes ont été assassinées et 240 autres prises en otage parce que juives. Face à la volonté de certains de minimiser ou de relativiser ce pogrom du XXIe siècle, les envoyés spéciaux du Point ont enquêté sur le terrain et recueilli des centaines de témoignages. Ils ont pu reconstituer, heure par heure, le déroulé de cette journée d’infamie. En voici la troisième partie (retrouvez la première partie ici, et la deuxième )

11 h 35 : Première prise de parole de Benyamin Netanyahou

« L’ennemi va payer un prix sans précédent »

« Ce matin, le Hamas a lancé par surprise une attaque meurtrière contre l’État d’Israël et ses citoyens […]. J’ai ordonné une mobilisation des réserves et une riposte d’une ampleur encore jamais vue. L’ennemi va payer un prix sans précédent. […] Nous sommes en guerre et nous allons gagner. » Il est clair désormais que le Premier ministre joue son poste. Depuis des mois, de hauts responsables militaires l’alertaient : les projets terroristes risquaient de profiter de l’instabilité politique en Israël. En juillet, le chef d’état-major, le général Herzi Halevi, avait demandé un entretien ; Netanyahou avait refusé de le recevoir. « Nous devons être préparés à un conflit militaire de grande échelle sur plusieurs fronts », a encore dit Halevi lors d’une cérémonie le 11 septembre. Des proches de Netanyahou avaient condamné à la télévision les propos « alarmistes » du chef militaire.

Vers midi : Sud d’Israël

« Nous voulions tous croire que le Hamas était faible »

Les unités appelées en renfort se déploient tout autour de Gaza. Les militaires ont été pour la plupart pris au saut du lit, en pleines vacances de Souccot. Shana, une lieutenante de 23 ans, est de ceux-là. La jeune femme a quitté en hâte la maison de ses parents, à Kfar Saba, en banlieue de Tel-Aviv, pour prêter main-forte aux troupes mobilisées non loin de la frontière égyptienne. Elle plonge pour la première fois dans la fournaise de la guerre. « Avec mes soldats, on a combattu une vingtaine de terroristes. Certains d’entre eux étaient en tongs, ce qui pourrait indiquer que des civils palestiniens se sont engouffrés dans le sillage des combattants du Hamas », raconte Shana. L’armée, réputée invincible, a été humiliée par quelques centaines de terroristes. « Il est plus clair que jamais que nos ennemis veulent tuer le peuple d’Israël. Nous devrons à l’avenir être toujours prêts face à la menace, y compris la nuit et pendant le shabbat. »

Le 6 octobre 1973, déjà, pendant le jour de jeûne de Yom Kippour, les États arabes avaient attaqué Israël. Cinquante ans plus tard, l’effet de surprise est encore une fois total. Les effectifs militaires sont concentrés sur la Cisjordanie, autour des colonies, et sur la frontière du Liban, d’où l’on craint plutôt une provocation du Hezbollah et de son parrain, l’Iran. La menace du Hamas est lourdement sous-estimée. « Il ne fait pas de doute que l’attaque surprise du 7 octobre est un échec colossal, confie Israël Hasson, l’ancien numéro deux du Shin Bet. Les raisons de cet échec sont nombreuses. Elles sont techniques, opérationnelles et conceptuelles. Le système sécuritaire connaissait en détail et avec précision les plans de l’ennemi. Mais il s’est trompé sur la prévision de la date de l’attaque. Il y a de nombreuses raisons à cela, qu’il est trop tôt pour évoquer. » De fait, le Hamas n’avait pris part à aucune attaque depuis un an. « Nous voulions tous croire que le Hamas était faible et que nous l’avions dissuadé d’attaquer », a reconnu le général Barak Hiram, commandant de la 99 e division.

 

Milieu de journée : Secteur de Sdérot

Collecter tous les restes humains

 

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<STRONG>Carnage. </STRONG>À proximité de Sdérot, le 7 octobre.</FIGCAPTION>
Carnage. À proximité de Sdérot, le 7 octobre.
Les ambulanciers de l’organisation privée Zaka, qui collectent les restes humains lors d’incidents violents, ont exceptionnellement rompu le repos hebdomadaire sacré. Orthodoxes, ils auraient dû attendre la fin du shabbat pour se mettre en route. « J’ai décidé qu’il n’était plus temps pour moi de rester à la maison ! » dit leur chef, Yossi Landau, 55 ans.Arrivé à Sdérot, il découvre, incrédule, le carnage, des habitants abattus en pleine rue, d’autres tués dans leur véhicule… Lui et ses hommes stabilisent et évacuent d’abord des blessés. Un terroriste surgit, les secouristes l’abattent. Ils poursuivent leur route vers le sud. Près de Mefalsim, Yossi Landau découvre un abri : « À l’intérieur, vingt personnes étaient enlacées pour se protéger ; elles ont toutes été brûlées vives. »

La route est jonchée de cadavres et de voitures prises en embuscade. « C’est un tronçon de route qui aurait dû prendre entre quinze et vingt minutes à parcourir. Ça a pris à nos volontaires, alors que nous étions exposés à des tirs, onze heures… Onze heures pour nettoyer, et pas totalement, tout ce que nous pouvions. » Et c’était avant d’arriver dans les kibboutz. À Be’eri, Yossi Landau et 50 volontaires de Zaka entament un travail qui va leur prendre plus de deux semaines, sur les routes et dans les localités de toute l’enveloppe de Gaza. Chaque maison renferme des abominations : familles entières torturées et assassinées, femme enceinte éventrée, corps carbonisés… La religion juive dictant de collecter absolument tous les restes humains, jusqu’aux éclaboussures de sang, il faut gratter au sol et sur les murs, et recueillir les cendres qui se sont déposées partout dans les maisons incendiées avec leurs occupants. Et, quand ils ont accompli leur tâche sur les victimes israéliennes, il leur faut encore s’occuper des centaines de cadavres des terroristes.

 

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<STRONG>Terreur. </STRONG>Cette vidéo de propagande du Hamas montre Evyatar David, 22 ans. Il a été kidnappé par les islamistes lors du festival Supernova.</FIGCAPTION>
Terreur. Cette vidéo de propagande du Hamas montre Evyatar David, 22 ans. Il a été kidnappé par les islamistes lors du festival Supernova.

 

14 heures : Gaza

Exhibé dans les rues, violenté devant des civils en liesse

Le festivalier Evyatar David, 22 ans, est tombé entre les mains des combattants du Hamas, qui l’ont emmené à Gaza. Dans une première vidéo tournée par des terroristes et retrouvée par sa sœur Yeela, on le voit jeté dans le coffre d’un pick-up blanc. Il a les mains attachées dans le dos, son corps est ligoté avec celui de deux autres jeunes. Les terroristes les frappent à coups de crosse. Leurs tee-shirts sont déchirés, leurs corps couverts de plusieurs plaies ensanglantées.

On voit aussi Evyatar dans une pièce sans fenêtre, à même le sol, filmé à la lumière d’un téléphone, avec quatre autres jeunes. Ils ont les yeux écarquillés, tremblent de terreur, se protègent comme ils peuvent de leurs mains entravées. On découvre, dans une autre séquence, Evyatar à Gaza, torse nu, la nuque encadrée par le bras d’un terroriste, une cagoule noire et un fusil d’assaut. Il est exhibé dans les rues de Gaza, violenté devant des civils en liesse.
Il s’était rendu au festival Supernova avec quatre amis. Deux ont été tués par des grenades. Evyatar et un autre ont été faits prisonniers. Un seul en a réchappé.

14 heures : Festival de musique Supernova

Visages figés, corps disloqués

Un policier israélien a filmé le massacre du festival : une multitude de corps ensanglantés gisent sous le soleil, enchevêtrés, désarticulés. Derrière le bar, près des congélateurs dans lesquels de nombreux festivaliers ont essayé de se cacher, on en voit plusieurs dizaines. Visages figés, ils sont comme des poupées de chiffon, leurs membres disloqués. Une jeune femme, sur le dos, est si durement touchée qu’elle est méconnaissable, son visage a disparu. Un peu plus loin, une autre a la tête renversée, la nuque brisée. Sur d’autres vidéos, on voit un terroriste jeter une grenade dans un abri antiaérien où s’étaient entassés des fuyards. Des blessés sont entassés comme de la viande à l’arrière d’un pick-up par les assaillants, qui les frappent. Au total, 281 participants au festival sont assassinés (selon le décompte de Mapping the Massacres).

14 heures : Nehusha, village israélien proche de la Cisjordanie

« Ce conflit n’a pas de solution »

Tout au long de la journée, scotchée aux chaînes d’information et aux réseaux sociaux, la jeunesse israélienne découvre, éberluée, le degré de barbarie dont ses ennemis sont capables. Aux alentours de 14 heures, dans le petit village de Nehusha, une bande d’amis fréquentant le même lycée se retrouve sur la place principale pour discuter des événements. « Plus rien ne sera comme avant, car les Arabes sont passés à la vitesse supérieure, dit Yoav, une kippa sur sa tignasse bouclée. Nous étions habitués aux attentats, mais ils étaient toujours le fait de petits groupes solitaires. Cette fois, ils sont venus avec l’intention de tuer tous les Juifs sur leur passage. » Regev, l’un des membres du groupe, acquiesce. « Pour qu’Israël vive en paix, la solution serait de chasser tous les Arabes de cette terre. Mais c’est impossible car nous sommes limités par nos principes démocratiques. Ce conflit n’a pas de solution. Nous n’avons nulle part ailleurs où aller, et les Palestiniens ne veulent pas partager. Les attaques reprendront de plus belle, les civils palestiniens continueront à mourir sous les bombes de notre armée ; c’est horrible, on aimerait qu’il en soit différemment, mais c’est ainsi. »

 

  • Douleur. Hadas Kalderon passe ses journées à crier et à remuer ciel et terre pour que l’on retrouve ses deux enfants, Erez et Sahar, emmenés avec leur père par le Hamas lors de l’attaque du kibboutz Nir Oz.
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14 h 30 : Kibboutz Nir Oz

Otage à 11 ans

Tsahal parvient enfin à la maison de Hadas Kalderon. Quand les soldats frappent à sa porte, elle hésite à ouvrir. Après huit heures de calvaire, on la conduit finalement dans une maison où sont rassemblés les survivants. Là, les rescapés comprennent que près de 80 personnes de leur kibboutz ont disparu. « Ils ont kidnappé des personnes âgées que je connais, et qui peuvent à peine se déplacer, raconte Hadas. Je ne vois même pas comment elles vont survivre. » Ses enfants Erez et Sahar ainsi que leur père Ofer font partie des disparus. Hadas évoque la joie de vivre d’Erez, un petit garçon si drôle qu’il serait capable de monter un spectacle de stand-up, quand il ne se dépense pas sur un terrain de foot ou derrière une table de ping-pong. Sa sœur, Sahar, « belle comme la lune », la traduction de son nom en hébreu, est un « ange au cœur immense ». Depuis un mois, Hadas passe ses journées à crier devant sa télévision, à répondre à des interviews « parce que le monde doit savoir » et à inciter les autorités à négocier. « J’ai du mal à manger, à dormir. Mes amis me disent que la nuit, je crie et je pleure… Je me consacre à sauver la vie de mes enfants… » Le 26 octobre, Erez a eu 12 ans dans un tunnel à Gaza.

19 h 30 : Base de Shura, près de Ramla, centre d’Israël

« Nous avons décidé d’ouvrir une morgue mobile »

Michal Levin-Elad, 57 ans, est la commandante du Bureau national d’enquête de la police scientifique israélienne. Elle a vite compris qu’il ne s’agissait pas d’un simple attentat. Ses collègues prennent peu à peu la mesure de la catastrophe. « On imaginait d’abord 200 ou 300 corps. On a compris que ce serait bien plus. Les laboratoires de la police à Tel-Aviv ne peuvent pas traiter plus d’une centaine de corps en même temps. Nous avons donc décidé d’ouvrir une morgue mobile. » Tous les officiers de la police scientifique du pays, même les retraités, sont mobilisés. L’armée met à disposition une morgue d’une base militaire près de Ramla, au centre du pays. Les bâtiments y sont prévus pour résister aux munitions du Hamas. Plusieurs parkings peuvent recevoir des conteneurs frigorifiques pour stocker la masse de sacs mortuaires. Les premiers corps arrivent le dimanche.

à lire aussi Guerre avec le Hamas : en Israël, l’effroyable épreuve pour identifier 1 400 cadavresPrès d’un mois plus tard, le flux ne s’est pas arrêté. Les équipes de Michal Levin-Elad ont travaillé sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, en trois quarts de huit heures. Amenés par les ambulanciers de l’armée et d’organisations privées comme les orthodoxes de Zaka, plus de 1 000 cadavres sont passés par la morgue mobile géante de Shura, 800 dès la première semaine, s’entassant dans des dizaines de conteneurs réfrigérés. Impossible, face à une telle hécatombe, d’enquêter en détail sur chaque victime. Seuls des rapports sommaires sont établis. Les légistes concentrent leurs efforts sur l’identification pour rendre les dépouilles aux familles. Les assassins se sont acharnés à détruire les corps, que ce soit avec des armes explosives sur des civils sans défense – lance-roquettes antichars, grenades thermobariques… –, en utilisant tout ce qui leur passait par les mains ou en incendiant les maisons, les morts et de trop nombreuses fois les vivants – dont la trachée engorgée de cendres trahit l’agonie abominable.

Cet acharnement a obligé les légistes à recourir à des radiographies dentaires ou à des analyses ADN pour l’identification. « Au bout d’une semaine, il n’y a plus de sang prélevable, donc il faut faire un prélèvement de tissu », détaille la cheffe de la police scientifique. Elle assiste à l’ouverture d’un sac. À l’intérieur, le corps gonflé d’une femme, pantalon baissé. À ce stade, les corps entiers comme celui-ci sont l’exception. Désormais, des militaires aidés par des archéologues de l’Autorité des antiquités d’Israël ratissent les sites des massacres à la recherche du moindre ossement, du moindre tas de cendres oublié. Des restes humains continuent d’être découverts tous les jours. Au 1 er novembre, 826 cadavres israéliens avaient été identifiés, 732 avaient été enterrés. Malgré les analyses, les contenus de centaines de sacs mortuaires n’ont pu être reliés à des noms de victime. « Pour chacun de ces sacs mortuaires, ce sont des proches qui souffrent et n’en peuvent plus d’attendre », rappelle la légiste en chef. Le bilan officiel des massacres s’élève à quelque 1 400 Israéliens tués, dont, parmi les forces de sécurité, 301 soldats, 55 policiers et 10 agents du Shin Bet.

 

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<STRONG>Quitter l’enfer. </STRONG>Évacuation du kibboutz Be’eri.</FIGCAPTION>
Quitter l’enfer. Évacuation du kibboutz Be’eri.

 

20 heures : Kibboutz Be’eri

« Ma femme était persuadée que c’était encore les terroristes »

Terré dans son abri avec sa femme et ses trois enfants, Amos Gurevits, 46 ans, ne comprend pas pourquoi l’armée n’est toujours pas là. Les échanges de coups de feu entre les tueurs et les gardes du kibboutz n’ont pas faibli. Dans la pièce plongée dans le noir, les enfants âgés de 4, 6 et 9 ans, allongés par terre, ont ordre de ne pas faire de bruit. Ils se comportent en « héros », dit le père de famille. Sa femme et lui tentent de ne pas montrer leur inquiétude. À un moment, ils ont bien entendu des hélicoptères, mais rien ne s’est passé. « À cet instant, je me sens complètement abandonné. » C’est seulement à la nuit noire que les premiers mots d’hébreu se font entendre derrière la porte de l’abri. « Ma femme était persuadée que c’étaient encore les terroristes », glisse Amos. « Quelle est votre adresse, votre nom, celui de vos parents, la couleur de votre béret ? » interroge-t-il avant de finir par ouvrir la lourde porte. Les enfants sautent sur les militaires de Tsahal et les embrassent.

Il faut encore être évacué, quitter le kibboutz. À l’extérieur, c’est une zone de guerre, tout est incendié, une épaisse fumée enveloppe l’air humide, de l’eau déborde des égouts, des dizaines de voitures sont brûlées, éventrées, des réservoirs criblés de balles. Et puis il y a les corps, qui partout jonchent le sol. « On avançait au milieu de ce chaos, en disant aux enfants de regarder droit devant eux », raconte Amos. Un ami venu le chercher croit voir un « spectre » arriver devant lui, livide. Le vieil Elie Carasanti est lui aussi secouru peu après. Sur la route qui le conduit loin de ce kibboutz où il a vécu plus de cinquante ans, il apprend que sa fille Mayana, son gendre Noar et sa première femme, Shoshana, la mère de ses enfants, ont tous trois été assassinés.

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<STRONG>Effroi. </STRONG>Les forces israéliennes évacuent les corps de dizaines de personnes massacrées dans le kibboutz de Kfar Aza, le 10 octobre.</FIGCAPTION> ©  Ilia Yefimovich/ZUMA Press/ZUMA-REA/ZUMA-REA
Effroi. Les forces israéliennes évacuent les corps de dizaines de personnes massacrées dans le kibboutz de Kfar Aza, le 10 octobre.
© Ilia Yefimovich/ZUMA Press/ZUMA-REA/ZUMA-REA

 

23 heures : Kibboutz Kfar Aza

Le monde d’avant n’existe plus

La petite Sa’ar a épuisé l’eau qu’avait emportée sa mère Keren dans l’abri le matin. Dans la soirée, enfin, une voix en hébreu appelle de l’extérieur. Ce sont des soldats de la brigade Guivati. Ils les emmènent vers un autre abri où sont cachés une quinzaine de civils et six chiens. Les animaux font leurs besoins au milieu des survivants entassés. Avidor et Keren Schwartzman et leur fille ne sont pas pour autant sortis d’affaire. Vers 1 heure du matin, dimanche, une première sortie échoue : il faut se replier dans l’abri. Les rafales continuent dehors. Seconde tentative à 2 heures passées : ils atteignent la sortie du kibboutz et passent devant leur voiture criblée de balles, les vitres éclatées. Près du portail, Keren aperçoit au sol le corps d’un combattant. Elle meurt de soif. « Tu as ton portefeuille ? » demande-t-elle à son mari en arrivant à la station-service au croisement de la grand-route. « Entre et sers-toi ! » lui répond-il, comprenant que le monde d’avant n’existe plus. Quand elle franchit la porte, elle découvre une épaisse mare de sang. « Ils avaient massacré le vendeur, probablement un Bédouin », dit-elle.

Sur 400 habitants du village, 77 ont été tués et 17 pris en otage. Après vingt heures à frôler la mort, les Schwartzman montent dans des bus avec les autres rescapés. Ils zigzaguent dans la nuit, pour éviter les axes où la horde ennemie continue de surgir et tirer au lance-roquettes sur tout ce qui passe. Dans l’obscurité, ils découvrent les bas-côtés jonchés de véhicules détruits, parfois encore en feu, et de cadavres. Pour Keren Schwartzman, « on se serait cru dans un film de zombies après l’apocalypse ».

Pour en savoir plus sur les images en direct de l’attaque transmises par les survivants, vous pouvez consulter le site october7.org en français.

L’Observatoire Juif de France appelle tous les français de tout bord à venir nombreux manifester dimanche suite à l’appel certes tardif de Monsieur le Président du Sénat et de Madame la Présidente de l’Assemblée Nationale.

«Antisémitisme: ne pas se tromper de combat»

 
 
 
Yves Thréard. Le Figaro

L’ÉDITORIAL DU FIGARO – Au lieu d’inventer des relents de peste brune où il n’y en a pas, les indignés seraient mieux inspirés de dénoncer les scandaleuses déclarations de Jean-Luc Mélenchon et de ses amis.

Les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale appellent à une grande marche civique ce dimanche à Paris. «Un cri des consciences, affirment Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet, pour déclarer à la face du monde que la République française ne laisse pas, et jamais ne laissera, prospérer l’abjection.» Il était urgent que pareille initiative soit prise.

 

Non seulement parce que rarement autant d’actes antisémites ont été recensés en France en un mois: plus de mille depuis le massacre du 7 octobre en Israël. Mais aussi parce qu’il est insupportable d’entendre, tous les week-ends dans les rues de notre pays, des manifestants crier leur haine, traiter l’État hébreu d’État assassin et applaudir les «résistants» du Hamas. A-t-on perdu le sens des réalités pour rester les bras croisés et ne pas réagir à semblable logorrhée?

L’antisémitisme a changé de bord en France
 

Même tardif, ce sursaut est donc le bienvenu. Pourtant, il ne va pas de soi pour tout un chacun. Comme si la lutte contre l’antisémitisme n’était pas l’affaire de tous les Français, quelles que soient leurs origines, religions ou appartenances partisanes. On l’avait déjà déploré, en 2018, après l’odieux assassinat par un islamiste de Mireille Knoll, au soir de sa vie. Cette fois encore, certains se trompent de combat en créant la polémique. Des ministres, à l’instar d’Olivier Véran, des membres de la majorité et des responsables de gauche défileront dimanche en se bouchant le nez: ils jugent la présence du RN déplacée. Certes, Marine Le Pen est la fille de son père, mais elle n’a jamais revendiqué – tant s’en faut – son héritage antisémite. On peut l’attaquer sur beaucoup de fronts, mais pas sur celui où elle a toujours cherché à couper le cordon ombilical. En dépit des récentes et réelles maladressesde son jeune lieutenant Bardella.

Au lieu d’inventer des relents de peste brune où il n’y en a pas, les indignés seraient mieux inspirés de dénoncer les scandaleuses déclarations de Jean-Luc Mélenchon et de ses amis. De caractère électoraliste ou pas, elles prouvent que l’antisémitisme a changé de bord en France. Là prospère l’abjection: celle qui mérite toute notre vigilance.

 

L’Etat d’Israël est en guerre et a besoin de nous tous, et vous demande de vous taire en laissant vos convictions politiques en mode pause.

“En préambule, tous les membres de l’Observatoire Juif de France ont toujours refusé de prendre des positions politiques concernant les divers gouvernements israéliens. D’autant plus que ces divers gouvernements ont été élus démocratiquement par les Israéliens.

La seule critique que l’on pourrait émettre concerne le mode de scrutin qui révèle les limites de la démocratie.

Tous les membres actifs de l’Observatoire Juif de France ont été abasourdis et ébranlés au plus profond d’eux-mêmes, tout comme la quasi-totalité de nos coreligionnaires, par le massacre que nous qualifions de pogrom. Nous ne pouvons rester indifférents face aux prises de position de nos coreligionnaires, qui ont accès à toutes sortes de médias et se permettent de prendre des positions politiques quant aux responsabilités en appelant le gouvernement en place à démissionner.

Suite à ces prises de position, on commence à entendre de plus en plus dans les médias que ce pogrom pourrait être la conséquence de la politique menée par ce gouvernement.

À un moment crucial dans l’histoire du peuple juif, où le destin du peuple risque de se jouer en Israël et la sécurité des juifs devient précaire dans le monde entier, l’Observatoire Juif de France demande à tous de se taire. Comme l’a si bien dit Herbert Pagani dans son célèbre et visionnaire “Plaidoyer pour ma terre,” “Quand la paix viendra, je choisirai parmi les miens, etc.”

L’État d’Israël est en guerre et vous demande de vous taire. Nous serons les premiers à l’Observatoire Juif de France à demander la démission de tous les dirigeants en poste, avant et pendant ce massacre, politiques, militaires, et services de renseignements.

Nous sommes convaincus et souhaitons que face à un tel désastre, ils démissionneront spontanément.

En attendant, soyons tous derrière tous les responsables en poste, car ils ont besoin du soutien du peuple juif.

L’Observatoire Juif de France a été créé en 1997, par feu monsieur  le Professeur BENSAHEL suite à la première Intifada et à la manifestation d’actes antisémites sur le territoire National. 

David Lisnard : « Aujourd’hui, nos démocraties sont en jeu »

David Lisnard : « Aujourd’hui, nos démocraties sont en jeu »

L’ENTRETIEN POLITIQUE DU WEEK-END. Devant le risque d’atonie de la société et d’une partie de la classe politique face à la montée des périls, le maire LR de Cannes appelle d’urgence à « un sursaut moral ».

Propos recueillis par

 

 
 

« Il faut se réveiller ! » Stupéfait de l’étrange langueur qui semble avoir gagné une large partie de la classe politique, jusqu’au sommet de l’État, face à la résurgence, sur le sol français même, de la « bête immonde » de l’antisémitisme, le maire Les Républicains de Cannes appelle à un « sursaut moral et spirituel ». Il s’étonne : pourquoi l’hommage national envisagé par Emmanuel Macron aux victimes françaises des attaques terroristes du Hamas du 7 octobre n’a-t-il toujours pas eu lieu ? Politique de l’autruche pour ne pas réveiller des braises encore chaudes sur le sol hexagonal ?

« Face au retour de l’antisémitisme, soit totalement décomplexé soit accompagné de circonvolutions oratoires, je m’attendais à ce que beaucoup disent : “Je suis juif” », s’indigne-t-il, en rappelant l’époque pas si lointaine où le slogan « Je suis Charlie » était repris à l’unisson. Figure montante de la droite que d’aucuns espèrent voir porter le drapeau de son camp à la présidentielle, le patron de l’Association de maires de France et du mouvement Nouvelle Énergie condamne les partis qui, à l’extrême gauche de l’échiquier, se font « les idiots utiles de l’islamisme » par « cynisme » et arrière-pensées électoralistes. Des mots salutaires.

Le Point : En 1990, après les profanations du cimetière juif de Carpentras, François Mitterrand, alors président de la République, prenait la tête d’une grande marche. Depuis les massacres du 7 octobre, des élus jouent sur les mots, se refusent à condamner des actes terroristes, et une atonie semble gagner la société. S’est-on habitué à l’horreur ?

 

David Lisnard : Il y a une atonie civique, en effet, dans un contexte de crise de la démocratie. Elle se traduit par des taux d’abstention élevés ; par des violences contre les dépositaires de l’autorité publique, y compris les élus ; ou par des enquêtes d’opinion où des sondés mettent sur le même plan démocraties et régimes illibéraux, a fortiori des dictatures. Cette atonie civique devient tragique parce que le moment que nous vivons est extrêmement violent, porteur de violences bien plus graves à venir, et dramatique par l’antisémitisme qu’il manifeste.

Des étoiles de David taguées sur les murs de Paris, des cris « Allahou akbar » dans une manifestation à deux pas du Bataclan. Comment marque-t-on un coup d’arrêt ?

Moi, vous voyez, je ne m’appelle pas Charlie. Il m’est arrivé de me sentir offusqué par des dessins de Charlie Hebdo que je jugeais dégradants. Mais quand il y a eu l’attentat de janvier 2015, j’ai dit : « Je suis Charlie », et je le dis encore. Je souhaite pouvoir être offusqué, car cela veut dire que je suis en démocratie et en République française. Face au retour de l’antisémitisme, soit totalement décomplexé, soit accompagné de circonvolutions oratoires, je m’attendais à ce que beaucoup disent : « Je suis juif » !

à lire aussi LFI et la loi de BrandoliniQuand je vois la violence dans un aéroport du Daguestan où des hommes brisent des portes pour aller débusquer des Juifs, quand je vois des étoiles de David sur des immeubles, en France, c’est innommable. Je ne suis pas juif. Mais toute personne qui n’est pas juive, comme moi, qui est attachée à la justice et qui a un minimum conscience de l’Histoire devrait dire : « Je suis juif », comme on disait : « Je suis Charlie », même si on ne partageait pas tout ce qu’il y avait dans ce journal. Toute autre réaction aujourd’hui est artificielle puisqu’elle n’est pas venue spontanément.

 

On se souvient des mots de Jacques Chirac au soir de sa dernière allocution télévisée en mars 2007 : « Ne composez jamais avec l’extrémisme, le racisme, l’antisémitisme ou le rejet de l’autre. Dans notre histoire, l’extrémisme a déjà failli nous conduire à l’abîme. » Où sont passées les grandes voix politiques ? Le chef de l’État lui-même apparaît effacé…

Au moins 35 Français sont morts dans les attentats du Hamas, les plus meurtriers de notre histoire récente depuis ceux du 13 novembre 2015 et l’attaque de Nice. Emmanuel Macron s’est rendu en Israël – où il a d’ailleurs proposé de façon irréfléchie une coalition contre le terrorisme, qui est devenue, de retour en France, une coalition pour une trêve humanitaire, faisant le jeu des terroristes – et l’Élysée a annoncé dans la foulée un hommage national aux Invalides.

Mais qu’est-ce qu’on attend ? Cet hommage serait justement l’occasion de rappeler des fondamentaux, de dire que la République française n’est pas virtuelle. Cela rend d’autant moins crédibles les grandes postures quand, après chaque attentat, on proclame que la République sera impitoyable.

 
J’aimerais entendre des Palestiniens condamner le Hamas. Mais si vous condamnez le Hamas dans la bande de Gaza, vous vous faites flinguer. Israël, quels que soient ses défauts, est une démocratie

Pourquoi ce mutisme des autorités ?

Par un mélange, sans doute, de crainte et de cynisme face aux possibles conséquences intérieures. Si l’on n’est pas capable de condamner un antisémitisme si abject et si violent aujourd’hui, on ne sera jamais capable de condamner toute autre forme de racisme, jamais capables non plus de rester libres. Les mêmes qui aujourd’hui se couchent face à l’antisémitisme se coucheront demain face à d’autres manifestations de racisme ou à des formes de soumission au plus fort.

à lire aussi L’antisionisme ou « la permission d’être antisémite », ce que disait JankélévitchL’Histoire est faite de cela, Marc Bloch le démontre dans L’Étrange Défaite. Le nécessaire sursaut doit bien sûr être policier et judiciaire, mais il doit avant tout être moral, spirituel, au sens où l’entendait Saint-Exupéry dans sa magnifique Lettre au général X : on ne peut pas vivre que de frigidaires, on doit vivre aussi d’une spiritualité commune. En République française, un des éléments de cette spiritualité commune est de condamner, sans aucune nuance, tout racisme et tout antisémitisme.

Beaucoup sombrent dans la concurrence victimaire. Vous expliquiez récemment qu’on ne pouvait pas mettre sur le même plan le massacre d’Oradour-sur-Glane et les bombardements alliés sur Berlin…

Les vies ont toutes le même prix : on se sent concerné, bouleversé par toute mort, surtout la mort d’un enfant, qu’il soit palestinien ou israélien. Mais les morts n’ont pas toutes la même signification. Il y a, chaque jour en France, des centaines de morts dont on ne parle pas, et c’est normal. Quand un professeur se fait égorger par un terroriste islamiste, cela suscite logiquement une émotion supérieure. Il n’y a pas d’équivalence des morts.

Revendiquer une équivalence, c’est justifier l’abjection terroriste et l’antisémitisme. Je ne suis pas un supporteur de la politique israélienne menée par Benyamin Netanyahou, qui a voulu geler la situation, oubliant les accords d’Oslo et d’Annapolis. C’est un échec. Mais les Juifs de France et du monde n’ont pas à en être comptables. Bien sûr qu’il faudra porter l’espérance d’un État palestinien, mais comment voulez-vous aborder ce sujet quand on n’est pas capable de condamner ceux qui parlent au nom des Palestiniens sur une matrice génocidaire, exterminatrice du peuple juif ! Les mêmes utilisent le mot « génocide » pour des répliques militaires de l’armée israélienne. Il faut se réveiller ! J’aimerais entendre des Palestiniens condamner le Hamas. Mais si vous condamnez le Hamas dans la bande de Gaza, vous vous faites flinguer. Israël, quels que soient ses défauts, est une démocratie avec des contestations, des oppositions. La démocratie, c’est le pire des systèmes après tous les autres, disait Churchill. Ce sont nos démocraties qui sont en jeu aujourd’hui.

Il y a en France des prophètes de malheur qui surfent sur ce conflit à des fins électorales.

Ce n’est malheureusement pas une surprise pour moi, je l’avais écrit, il y a plusieurs mois. Il existe une convergence manifeste entre un antisémitisme populaire des Territoires perdus de la République, que l’on retrouve de façon répandue dans une partie de la population musulmane, a fortiori islamiste, et un antisémitisme plus mondain, petit-bourgeois et intellectuel qui désormais est d’extrême gauche. Le wokisme, pour parler clairement. L’extrême gauche a souvent été antisémite, le communisme soviétique l’était. Avant, on parlait de convergence des luttes, maintenant c’est d’intersectionnalité.
à lire aussi « Je ne me sens pas en sécurité sur le campus » : le conflit israélo-palestinien électrise les universités américainesOn le voit dans les universités américaines, comme en France. Au sein de La France insoumise et du NPA [Nouveau Parti anticapitaliste, NDLR], des figures de proue jouent sur l’identité victimaire. Ce sont les idiots utiles de l’islamisme, sauf qu’ils sont beaucoup moins forts et organisés. Ceux qui agitent des drapeaux LGBT dans des manifestations de soutien au Hamas seront les premiers à se faire décapiter. Je les invite à montrer le même courage en Afghanistan ou en Iran. Il y a de la naïveté donc, et beaucoup de cynisme chez les leaders, et c’est en cela que c’est dangereux. Cela concerne une minorité en France mais les mouvements d’insurrection, de révolution sont le fait de minorités frustrées. Et l’atonie civique générale est un facteur aggravant.

Que dites-vous au reste de la gauche qui se contente d’en appeler à des « moratoires » avec LFI ?

Qu’à force d’ambiguïté, on devient complice. Certains leaders de LFI sont heureusement plus raisonnables mais, dans ce cas, qu’ils s’en aillent ! J’entends des dirigeants socialistes dire : « Nous remettons en cause la méthode de LFI. » La méthode n’est pas le problème, c’est le fond.