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Rachel Khan: «Le genou à terre est un geste étranger à notre histoire»

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TRIBUNE – Alors que l’équipe de France de football prévoyait de mettre le genou à terre, ce mardi soir à Munich, en reprenant les codes du nouvel antiracisme américain, l’essayiste, auteur de Racée (Éditions de l’Observatoire), juge que notre pays n’a pas de leçon ni d’ordre à recevoir des États-Unis en la matière.

Par Rachel Khan

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Rachel Khan. F Clairefond

Jamais le body langage, langage du corps en anglais, n’aura fait autant parler de lui. L’annonce que l’équipe de France avait décidé de mettre un genou à terre sur la pelouse de Munich lors du match d’ouverture de l’Euro face à l’Allemagne, pour afficher son opposition au racisme et aux discriminations, a suscité de nombreuses tensions.

Il ne s’agit ici pas de remettre en cause l’existence du racisme et de l’antisémitisme. Il faudrait vivre dans un monde parallèle pour ne pas voir à quel point les identitaires de tous bords et de toutes origines cristallisent le sujet de la «race» et par là même nourrissent intolérances, actes de violences racistes et s’autoalimentent dans les sondages et autre fanbase.

Mais comment le genou à terre, symbole de soumission, de faiblesse mais aussi dans un domaine plus romantique de demande en mariage, s’est-il propagé à travers le monde pour devenir, contrairement à ce que le corps exprime, un acte de résistance?

En raison de la puissance du soft power des États-Unis et des réseaux sociaux, nous avons presque l’obligation d’importer cette image de genou à terre comme les Américains l’ont décidé. Un comble, compte tenu des histoires respectives de nos deux pays

Pour réaffirmer le passé ségrégationniste et raciste des États-Unis qui laisse encore aujourd’hui d’horribles traces comme le drame de George Floyd, le mouvement Black Lives Matter a «copyrighté» ce symbole de lutte. Les scènes ont fait le tour du monde et les genoux à terre aussi. Dès lors, en raison de la puissance du soft power américain et des réseaux sociaux, nous avons presque l’obligation d’importer cette image, de la «copier-coller» dans nos événements européens, notamment sportifs.

L’injonction en sous-texte est telle, que ne pas mettre de genou à terre serait dire que l’on est solidaire du racisme, voire que le racisme n’existe pas. Aujourd’hui, ne pas faire le geste c’est prendre le risque de passer pour complice. Voilà tout!

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Dès lors, plus les matchs passent, plus mettre un genou à terre devient un rituel, une figure imposée presque plus importante que les 90 minutes qui vont suivre.

Avec la globalisation, la «cause» est capitalisée, ultra-partagée donc mondialement consommée. Nous devrions lutter contre le racisme comme les Américains l’ont décidé. Ce qui au regard de la réalité américaine est un comble!

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Or, faire de la lutte contre le racisme un bien de consommation, une banalisation autant qu’une culpabilisation est extrêmement dangereux.

Tout ce bruit est aux antipodes du poing levé par les athlètes afro-américains sur le podium des JO de 1968. D’ailleurs, cette image inédite reste dans l’inconscient international parce qu’elle est unique et perçue comme un symbole de courage réel. Si cette image n’a pas colonisé l’ensemble des stades c’est aussi par respect de ce moment de grâce, par reconnaissance des douleurs et des injustices de ceux qui les ont vécus, pour leur laisser le soin de le dire au monde. C’était ensuite à l’humanité de prendre ses responsabilités universalistes afin de faire en sorte que ce genre d’ignominies cesse.

En calquant ce genou à terre donc en gommant les particularismes, les récits et les histoires nationales, le message est aujourd’hui dilué. Le genou à terre est plus barbant qu’autre chose tellement nous l’avons vu dans tous les événements. Un genou galvaudé!

Par ailleurs, en France, il faut alors le rappeler, le racisme et les discriminations sont interdits et punis par la loi. N’est-il donc pas un peu étrange pour l’équipe de France de se dire contre des actes qui sont déjà consacrés en tant que délits et crimes?

Et puis malheureusement, penser que les problèmes des discriminations seront résolus avec un genou à terre, c’est un peu short (sans mauvais jeu de mots)!

Sans oublier que ce geste dédié aux discriminations, discrimine lui-même les autres sujets potentiels de mobilisation nationale et pousse à la concurrence des victimes. Pourquoi seulement les discriminations et pourquoi pas aussi Mila, Samuel Paty, toutes les victimes du terrorisme, les Ouïgours?

C’est précisément pour éviter ce genre d’écueil contraire à la communion qui est l’essence du sport que la charte olympique, dans son article 50, prévoit «qu’aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique».

L’équipe de France telle qu’elle est constituée est déjà un pied de nez au racisme. Nul besoin de genou à terre

À l’heure où la France, pays des Lumières et berceau de l’universalisme, se prépare à prendre le relais des Jeux olympiques avec Paris 2024, il est important de rappeler ce principe fondamental permettant de garantir l’unité d’un stade et l’union derrière le sport comme un moment de respiration mondiale.

L’équipe de France telle qu’elle est constituée est déjà un pied de nez au racisme. Nul besoin de genou à terre. Que des femmes et des hommes de tous horizons, de toutes origines portent le maillot bleu blanc rouge. C’est une victoire. Notre équipe est un rassemblement à l’image de la France réelle, n’en déplaise à certains. C’est aussi, malgré ce que les États-Unis veulent nous faire croire, un symbole à travers le monde, un moteur même. Pour une fois que nous avons de l’avance, pourquoi faire croire que nous sommes en retard?

Cette équipe est une image immortelle, de destins uniques, d’une beauté indissociable de ses performances, qui parle comme le plus émouvant des poèmes, la plus belle des libertés, la plus magique des rythmiques en pleine lucarne. Les sportifs sont les meilleurs ailiers de notre conscience humaniste.

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Transcender la défense, aller droit au but de manière collective, faire tomber le mur d’en face par une équipe aussi soudée que multiple, entendre le brouhaha d’un stade en liesse, vibration de nos âmes qui communient face à l’exploit qui se déploie sous nos yeux, en dit plus long que ce geste importé.

On ne met pas un genou à terre et surtout pas face à l’Allemagne. Toujours rester debout face à son adversaire. Rester debout, pour une universalité aux bras ouverts, victorieuse sur la surface de réparation.

Source : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/rachel-khan-le-genou-a-terre-est-un-geste-etranger-a-notre-histoire-debout-les-bleus-20210615?utm_source=CRM&utm_medium=email&utm_campaign=[20210616_NL_ACTUALITES]&een=93c9a94407804c4fe01849b3ffd88780&seen=6&m_i=nPTENTsHhhdHZek%2BYJO%2BIrHd6vCtmRoeK7BXXCAiKnKVA7lp_mNDMBFHbZgR3YnN1lw4xV3MCTym9LF2WwCw3detmfuPk1XDRs

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